Interview d’Arvind Shah
Oui, les énergies renouvelables sont ‹ rentables › !
La Suisse a-t-elle une chance de compenser la contribution du nucléaire lors de l’abandon progressif de cette énergie, et si oui, comment ?
Bien sûr ! Nous devons tout faire pour compenser l’apport actuel du nucléaire, auquel il faut renoncer au plus vite – à vrai dire, on n’aurait jamais dû commencer. En supposant qu’il n’y aura pas, dans les deux ans à venir, une raison impérative d’arrêter immédiate-ment l’exploitation de l’énergie nucléaire (ni catastrophe, ni pénurie de combustible), je vois deux scénarios possibles. Dans le premier, on compense avec le gaz. Certes, on n’aime pas dépendre de M. Poutine ou de l’émir du Qatar. Certes, produire de l’électricité grâce au gaz contribue à l’effet de serre. Mais il faut relativiser : le gaz est moins polluant que le charbon, et la part de l’effet de serre qu’on peut imputer à une grande centrale à de gaz pour générer du courant électrique ne représente pas grand-chose par rapport à celle liée à notre consommation de viande, par exemple, avec l’entretien d’un cheptel producteur de CO2. Dans le second scénario, le développement des énergies renouvelables est vraiment encouragé et poussé, et pas seulement le solaire, mais aussi l’éolien et l’hydro-électrique. On peut également promouvoir, dans l’immobilier notamment, la cogénération : on produit du courant électrique avec un moteur à diesel, ou à gaz, et on utilise la chaleur émise par ce moteur pour chauffer sa maison – simultanément, nos voisins font marcher leur pompe à chaleur avec le courant que nous avons généré.
Le solaire est-il rentable et exploitable en Suisse, et à quelles conditions ?
Cela dépend du sens que l’on donne à l’adjectif « rentable ». D’un point de vue général, est-ce rentable à long terme pour un pays ou pour un propriétaire de miser sur des énergies renouvelables ? Et plus particulièrement, peut-on imaginer que le solaire devienne rentable même sans subventions, en comparaison des autres sources d’énergie ? Je répondrai d’abord qu’à moyen terme, tous les pays et tous leurs citoyens ont intérêt à produire de l’électricité indigène. On ne peut plus aujourd’hui se passer d’informatique, et les situations de « black-out » illustrent bien le drame que provoque l’absence de courant. Pour le chauffage, c’est différent ; en cas d’urgence, on peut se rabattre sur le bois. Les transports dépendent eux aussi, de plus en plus, d’un apport suffisant d’électricité. La Suisse est bien placée avec ses 60% d’électricité hydraulique. Le solaire et l’éolien sont « rentables » dans la mesure où le fameux plan Wahlen l’était, c’est-à-dire que nous devons viser l’autosuffisance, et oser investir en ce sens. A l’échelon du propriétaire de logement, l’intérêt est le même : être plus indépendant signifie économiser à terme. Si le prix de l’électricité augmente, celle que vous obtenez grâce à vos cellules solaires devient d’autant plus rentable. En développant l’utilisation intelligente de l’électricité fournie par vos panneaux solaires (en mettant en marche, par exemple, vos machines à laver de préférence quand le soleil est là), vous arriverez déjà maintenant à réduire de façon importante votre facture d’électricité.
La protection des sites et la crise économique ne sont-elles pas deux obstacles insurmontables à l’essor du solaire ?
La crise économique qui a frappé un peu partout sauf en Suisse a conduit de nombreux pays à restreindre ou à abolir les aides à l’installation de capteurs solaires. En Angleterre cependant, le gouvernement conservateur a maintenu le cap. Quant à la Suisse, on ne peut pas vraiment dire qu’elle ait une politique volontaire en la matière. Par contre, la protection des sites va être un moins grand obstacle à l’avenir, puisque Berne a pris de nouvelles dispositions pour que des panneaux solaires puissent être installés plus facilement, à l’exception des monuments historiques où une telle intervention ne serait pas acceptable.
La production de panneaux solaires dans des pays peu regardants en matière d’écologie n’est-elle pas un non-sens ?
C’est en effet préoccupant. Pour une question de prix, beaucoup de gens optent pour des produits chinois. Mais la Chine, confrontée à de gigantesques défis écologiques, est en train de changer d’attitude et ses autorités se rendent bien compte qu’il ne sera bientôt plus possible de produire de l’électricité grâce au charbon pour fabriquer des panneaux solaires. Entre-temps, j’espère que de nombreuses collectivités et privés sauront investir un peu plus et acheter des panneaux allemands, coréens ou japonais, même s’ils sont plus chers, d’au-tant qu’on ne peut encourager un pays producteur aussi contestable, en ce moment, sur le plan social et environnemental. Il ne faut pas suivre uniquement la logique du meilleur prix : la qualité et le respect du développement durable ont leur importance.
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