Les promesses de l’hydrogène

Dans le secteur de la mobilité, l’hydrogène s’inscrit toujours davantage en complémentarité avec les véhicules à batterie. Avec des temps de recharge inférieurs et une plus grande autonomie, la pile à combustible séduit aussi le secteur aérien.

Bertrand Piccard est devenu un allié de poids de la filière hydrogène. L’explorateur et président de la Fondation Solar Impulse ne s’en cache pas. « L’hydrogène devient, bien plus qu’un carburant potentiellement propre, une solution capable de mettre tout le monde d’accord. En effet, si l’Europe se lance dans la course à l’hydrogène, c’est qu’elle pense avoir encore une chance de gagner cette bataille, après avoir quasiment perdu celle des batteries. Il s’agit là d’un immense potentiel industriel et autant de débouchés économiques, avec création d’emplois et stabilité sociale à la clé. » Avant d’ajouter : « La production locale d’hydrogène vert prend aussi une dimension stratégique : une libération de la dépendance aux énergies fossiles provenant de l’autre bout du monde, sur le plan national comme à l’échelle individuelle, car il est possible de produire de l’hydrogène chez soi à partir de ses propres panneaux solaires. Reste à y intégrer tous les acteurs. »

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(DR)
Plus rapide que la recharge électrique, le plein d’hydrogène s’effectue souvent en moins de cinq minutes.

Rejet d’eau

L’hydrogène serait-il donc prêt à détrôner les médiatiques batteries ? « Ces dernières sont les plus mûres pour une transition immédiate et semblent avoir fait depuis quelques années un pas décisif tant chez les constructeurs automobiles que dans les politiques publiques, » tient à nuancer Daniel Chambaz, directeur général de l’Office cantonal de l’environnement à l’État de Genève. Toutefois, la question des batteries (impacts sur les ressources, la santé humaine, les sols, etc.) retient l’attention de tous les opposants. Dès lors, il est compréhensible qu’une solution comme l’hydrogène, dont la promesse est une mobilité qui part de l’eau et de l’électricité et ne rejette que de l’eau dans un cercle d’apparence vertueux, suscite l’engouement dans les médias. « Si l’on regarde de plus près, on constatera que la plupart des investissements dans la mobilité hydrogène vont plutôt vers des mobilités lourdes, collectives ou nécessitant un usage intensif sur de longues distances (camion, avion, fret maritime). Précisons encore que l’hydrogène est actuellement produit à 95 % avec de l’énergie fossile. »

 

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Airbus
L’avionneur Airbus souhaite commercialiser ses premiers avions zéro émission d’ici à 2035.

Dans les airs

La technologie est encore naissante. Ce que souligne Christopher Brandon, cofondateur et directeur d’EH Group Engineering. « Il y a de bonnes raisons de penser que le rôle de l’hydrogène dans la décarbonisation de nos futurs systèmes énergétiques ne fait que commencer. En ce qui concerne la mobilité, l’accent doit être mis sur les applications qui requièrent une utilisation, une charge utile et une autonomie importantes et pour lesquelles les batteries ne peuvent répondre seules aux exigences. Il s’agit notamment des poids lourds, des bus et du secteur maritime. » Il faut ajouter désormais celui de l’aérien. L’avionneur Airbus vient en effet de dévoiler trois concepts d’appareil zéro émission reposant sur l’hydrogène. Avec pour ambition une mise en service en 2035. Un pari réaliste ? « Cela dépend de la taille de l’avion et des distances à parcourir, répond Hubert Girault, professeur d’électrochimie physique et analytique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Il existe déjà des prototypes d’avions à hélices dotés de moteurs électriques et alimentés par des piles à combustible. Pour les moyens et longs courriers, les biofuels, par exemple issus du traitement des déchets organiques, joueront un rôle à court et moyen terme. Les perspectives offertes par l’hydrogène sont toutefois intéressantes et beaucoup de projets sont à l’étude. Par contre, je suis assez convaincu que l’hydrogène jouera un rôle important pour le développement du transport de personnes et de biens par drones. Alors oui, des ambulances-drones en 2035, tout à fait ! »

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(Mission H24/Thierry Gromik)
La start-up Green GT a participé aux 24 Heures du Mans avec un bolide doté d’une pile à combustible à hydrogène.

Application concrète

Christopher Brandon abonde et se veut même encore plus optimiste. « Même s’il s’agit sans aucun doute d’un défi technique, la densité de puissance gravimétrique élevée de l’hydrogène sera la clé de son rôle dans l’aviation. Il faudra relever des défis majeurs pour répondre aux exigences techniques, de sécurité et de certification. Néanmoins, nous sommes convaincus que nous verrons un avion fonctionnant à l’hydrogène d’ici à 2035. » L’entreprise vaudoise Green GT n’a pas attendu l’intérêt récent pour cette forme d’énergie. En 2012, elle a participé aux 24 Heures du Mans avec un bolide à motorisation électrique-hydrogène. Une longue expérience de la pile à combustible a démontré l’intérêt de cette technologie estime François Granet, responsable de la communication chez Green GT. « Lorsqu’on cherche de la puissance, de l’autonomie et un temps de ravitaillement quasi inchangé par rapport à celui dont nous avons besoin pour faire le plein d’un véhicule fonctionnant avec du carburant fossile, la pile à combustible à hydrogène est la meilleure solution. Elle est inégalable dans l’état actuel des connaissances scientifiques et technologiques. » En Suisse, l’entreprise s’est engagée dans le programme GOH ! (Generation of Hydrogen !) auprès de trois partenaires – Migros, les SIG et Larag – dans le cadre des projets développés par la Fondation Nomads. « Nous préparons le lancement d’un camion de 40 tonnes, propulsé par une pile à combustible, alimenté par de l’hydrogène local et produit de manière vertueuse. Ce véhicule permettra de livrer les marchandises dans les magasins du réseau Migros en ne rejetant rien d’autre que de l’eau. » Voilà une application concrète d’une technologie qui devra encore parcourir un long chemin avant de s’imposer. Actuellement, l’hydrogène ne couvre qu’environ 1 % de la consommation mondiale d’énergie. ■