Héros ou revanchards ?

Dans l’imagerie populaire, souvent empreinte de bon sens, le lanceur d’alerte est une sorte de contestataire anarchiste, un esprit libre et frondeur, authentiquement attaché à la vérité. Heureusement, c’est souvent vrai et des exemples positifs abondent dans l’histoire, comme le montre notre article « Les précurseurs de la vérité ».

Ce qui rend néanmoins l’affaire complexe, ainsi qu’intéressante, c’est que parfois, le profil psychologique et les motivations du lanceur s’avèrent quelque peu troubles : on décèle çà et là un désir de vengeance, l’appât du gain, une mythomanie, la soif « egomaniaque » d’attention ou de reconnaissance. Les « tombeurs » de l’UBS (Bradley Birkenfeld et les 104 millions de récompense qu’il reçut du gouvernement américain) ou de HSBC Suisse (Hervé Falciani) sont là pour le démontrer. C’est bien pour cela que, dans notre interview, le sociologue Francis Chateauraynaud suggère de se concentrer sur le contenu de l’alerte, plus que sur la personnalité du lanceur. Il serait tentant de le suivre dans cette simplification, qui fait néanmoins un peu vite l’impasse sur certaines exigences morales : peut-on, dans un État de droit, utiliser n’importe quelles informations, sans se préoccuper de la façon dont elles ont été obtenues ? Ce serait oublier que devant les tribunaux – seuls aptes à juger –, tous les moyens de preuve et d’investigation ne sont pas admis.

On le voit, la question du lanceur d’alerte est complexe, protéiforme, on comprend combien il est, dès lors, difficile de légiférer sur la question et protéger le « bon » lanceur d’alerte sans encourager l’autojustice sommaire ni la divulgation de secrets légitimes (mais comment définir ces derniers ?).

Notre dossier ne prétend pas faire un inventaire exhaustif de la problématique, mais vise à soulever certaines questions ouvertes et à rendre hommage à quelques lanceurs d’alerte historiques ou contemporains, dont les motivations semblent a priori désintéressées ou même nobles. Et dont les destins ont connu des fluctuations extrêmes : héros glorifiés un jour, criminels vilipendés ou simplement broyés et oubliés un autre comme, tout près de nous, un certain Julian Assange.

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