Guantanamo : 14 ans de mépris des droits humains
« Le jour où Guantanamo fermera est encore loin. » De l’aveu même du Général John F. Kelly, aux commandes de la prison, « Barack Obama déploie beaucoup d’efforts pour la fermer, son équipe travaille dur à convaincre d’autres pays d’accueillir les prisonniers, mais au bout du compte, c’est le Congrès qui aura le dernier mot. »
Treize ans après l’arrivée des premiers prisonniers dans ce camp de détention, que l’ONG Amnesty International qualifie de « Goulag des temps modernes », la perspective d’une fermeture définitive du camp de Guantanamo avant la fin du mandat de Barack Obama s’éloigne de jour en jour. Début décembre, le Congrès a en effet une nouvelle fois balayé d’un revers de la main cette promesse du président américain, en refusant d’inclure dans le budget 2015 les fonds nécessaires au transfert des détenus vers des prisons aux Etats-Unis. Sur l’île cubaine, 136 « ennemis combattants étrangers » croupissent toujours dans les couloirs de ce centre de non-droit, sans inculpation ni condamnation, depuis plus d’une décennie pour certains. Parmi ces détenus, une soixantaine attend d’être libérée conformément à une décision de justice de 2009. Mais même si le Pentagone signe les ordres de transfert de ces prisonniers « libérables », 69 détenus resteront cloîtrés entre les grilles et les murs du tristement célèbre camp de Guantanamo. Ceux-là attendent un procès devant une commission militaire ou sont considérés comme trop dangereux pour être relâchés bien qu’il n’existe pas assez de preuves pour les juger. En novembre dernier, le Comité des Nations unies contre la torture a pourtant une nouvelle fois rappelé que la détention illimitée représentait une violation claire de la Convention contre la torture.
Ils ont raconté les drogues injectées de force et les expérimentations médicales.
Traitements inhumains
« Après le 11 Septembre, nous avons torturé des gens », déclarait en septembre dernier Barack Obama, dans une rare reconnaissance du non-respect des droits humains par les Etats-Unis. Et effectivement, au fil des ans, d’anciens détenus ont témoigné. Ils ont raconté les coups, les humiliations sexuelles ou religieuses. Ils ont raconté les drogues injectées de force et les expérimentations médicales. Ils ont raconté les techniques d’interrogatoires « musclées » : les simulacres de noyade, l’exposition à des températures extrêmes, l’isolement et la privation de sommeil. La plupart de ces techniques ont été bannies par Barack Obama à son arrivée au pouvoir, mais les droits humains ne sont pour autant toujours pas respectés. Depuis plusieurs années, les ONG sont ainsi vent debout contre une pratique courante à Guantanamo : l’alimentation forcée. Le 7 décembre, le Pentagone a transféré six prisonniers vers l’Uruguay – le plus large transfert depuis 2009. Parmi les détenus, Jihad Ahmed Mustafa Diyab, dont le nom est devenu le symbole du combat judiciaire contre la pratique de l’alimentation forcée. Comme des dizaines de détenus, ce Syrien – libérable depuis quatre ans – était en grève de la faim prolongée. Son calvaire, que les associations comme Amnesty International qualifient de torture, consistait à être « extrait de force de sa cellule » pour être ensuite sanglé à une chaise dite « de contention ». Une sonde était alors insérée de son nez jusqu’à l’estomac, puis retirée une vingtaine de minutes plus tard, lorsqu’il était nourri. Une pratique condamnée par l’Association médicale mondiale, qui la dénonce comme un « traitement inhumain ». Ce Syrien de 43 ans est aujourd’hui libre, mais combien de prisonniers continuent desubir le même sort ? Impossible de le savoir : le Pentagone refuse de communiquer le nombre de détenus en grève de la faim, arguant d’un risque de propagande. Des signes d’impatience commencent à apparaître du côté des autorités judiciaires. Saisie par Jihad Ahmed Mustafa Diyab, une juge fédérale s’est penchée sur les cas d’alimentation forcée et réclame que les vidéos de ces séances de « gavage » soient rendues publiques. Le gouvernement s’attend également à une vague de procès dès la fin des opérations en Afghanistan, fin décembre 2014, de la part des détenus, qui remettront en cause les bases légales de leur détention. Une légalité déjà bien opaque en temps de guerre, mais encore plus contestable en temps de paix.
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