« Eve la Vie », du soutien aux personnes endeuillées
Philippe Renaud a créé la fondation « Eve la Vie ». Elle vient en aide aux personnes qui ont perdu un être cher.
Septembre 2010, Evelyne s’éteint après six ans de combat contre la maladie. Philippe reste prostré, sous le choc. Les jours passent puis les semaines, mais la douleur continue de l’étreindre. Auprès des amis comme de la famille, il ne trouve pas suffisamment d’écoute et d’attention. « Mes proches préféraient éviter le sujet, pensant me protéger, alors que l’effet était inverse. Ne pas entendre parler de ma femme m’était insupportable », se souvient Philippe. C’est pourtant là, de cet abîme, qu’il va puiser l’énergie pour créer une fondation. « Il fallait à tout prix que je me lance corps et âme dans un projet », avoue-t-il. Mis dans la confidence, des collègues orientent Philippe vers Rose-Marie Conesa. Au fil des discussions, ils se découvrent des points communs : Rose-Marie a également perdu son époux un an auparavant. Elle a ressenti les mêmes pertes de repères. Son expérience va aider Philippe à traverser ses états intérieurs. Il découvre que le « travail de deuil » est une sorte de cheminement chaotique, comportant plusieurs étapes plus ou moins longues, listées par la psychiatre suisse et pionnière des soins palliatifs Elisabeth Kübler-Ross. Après l’annonce du décès, c’est la sidération pour celui qui reste. Ensuite la personne endeuillée connaît une phase de déni, puis de colère… avant de plonger dans une dépression. Alors seulement… l’acceptation peut doucement émerger.
Chacun doit trouver la bonne distance, savoir se taire parfois et apporter un soutien plus ténu à d’autres moments.
Rapidement, le thème du deuil et de l’accompagnement devient central. Philippe et Rose-Marie prennent conscience que c’est là que leur projet doit trouver sa source ! Ils découvrent aussi que les associations manquent en Suisse romande. « La mort reste un sujet tabou dans nos sociétés. On l’a totalement évacuée et on l’apparente même à l’échec, raconte Phillippe Renaud. Du coup, c’est seulement lorsqu’elle nous frappe que l’on s’y confronte. En dehors de cela, on tente de la tenir le plus loin possible de soi. » Au sein de l’As’trame et de Caritas, ils suivent des formations sur le deuil et l’accompagnement des personnes en fin de vie ou confrontées à la mort ; un cursus généralement destiné aux personnels hospitaliers. « Ce fut parfois douloureux, mais aussi très enrichissant, reconnaît Rose-Marie. Cela m’a permis de prendre du recul et de mieux cerner mes émotions. J’ai aussi appris à mieux écouter les autres. Du coup, au sein de la fondation, tous les bénévoles doivent suivre cet enseignement. » « Il en va de la crédibilité de notre travail ! » explique Philippe. Créée en avril 2011, la fondation « Eve la Vie » ouvre ses portes au Grand-Saconnex, dans les locaux du Centre Œcuménique des Eglises en janvier 2012.
Le site Internet est consul-té plus de 2 000 fois par mois. Le conseil de fondation s’est étoffé de deux nouveaux membres Christelle Jaquier et Angela Custodio tandis qu’une poignée de bénévoles, sou-vent des amis, les assistent dans leur travail. Chacun doit trouver la bonne distance, savoir se taire parfois et apporter un soutien plus ténu à d’autres moments. « Lors des échanges, nous écoutons les parcours de vie de chacun et essayons de trouver ce qui les motive. Ce peut être la peinture, la musique, simplement des sorties en groupe pour rompre la solitude. A nous de réintroduire doucement une énergie positive dans leur quotidien. » Pour y parvenir, des activités sont régulièrement proposées et mises en ligne sur le site de la fondation. « On a commencé avec la randonnée, explique Philippe, car marcher en pleine nature permet de se reconnecter à la vie : c’est à la fois beau et apaisant. Et puis, il y a une notion de dépassement de soi essentielle pour redonner goût à sa vie. » Ceux qui n’aiment pas marcher peuvent se tourner vers les cours de photo ou parcourir les salles des musées ; d’autres pourront visiter des lieux inattendus ou faire leur baptême de plongée sous-marine. La liste devrait encore s’étendre puisque les fondateurs réfléchissent à des cours de cuisine ou d’informatique… Tout sert de prétexte à ne pas laisser les gens dans leur tristesse et leur solitude. Et puis ces journées gratuites ne réunissent pas exclusivement des personnes endeuillées. Tout le monde peut se joindre au groupe. Dans certains cas même, il est aussi possible d’obtenir un soutien financier. Philippe Renaud travaille également à l’élaboration d’une charte du deuil, pour faciliter les démarches suite au décès d’un proche : « Cela existe dans d’autres pays, mais pas encore chez nous. Cela permettrait de baliser ce parcours du combattant et d’orienter vers les bonnes structures. » La fondation est parvenue à créer une halte bienveillante où se succèdent accueil, écoute et échanges. Doucement, la cicatrisation pourra alors se faire en redonnant à la vie toute son intensité perdue.
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