États-Unis, de nouveaux médias en opposition avec les médias de masse
Quatre garçons dans le vent. Tommy Vietor, Dan Pfeiffer, Jon Lovett et Jon Favreau : quatre trentenaires, quatre anciens de l’équipe Obama, font un carton depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump avec leur podcast « Pod Save America ».
Avec 1,5 million d’auditeurs à chaque émission et près de 120 millions de téléchargements, leur podcast se présente comme la voix de la résistance anti-Trump, l’alternative démocrate aux talkshows conservateurs. «Une authentique réponse partisane à ce qui est perçu comme un échec des médias de masse», ose le New York Times. Traditionnellement, ce sont les conservateurs qui critiquent les médias de masse, pour leur supposé «parti pris libéral» (c’est-à-dire pro-démocrate) – 51% des Américains «de gauche» ont ainsi confiance en les médias, contre seulement 20 % des conservateurs, d’après Reuters Institute. Mais les démocrates se soulèvent eux aussi contre les médias traditionnels. Ils leur reprochent d’avoir, au nom de la sacro-sainte « balance », mis à tort sur le même plan les frasques de Donald Trump et les erreurs d’Hillary Clinton pendant la présidentielle.
Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que les médias les plus engagés fassent le plein. Depuis l’élection de 2016, plus de 1600 podcasts politiques, en majorité anti-Trump, sont ainsi apparus d’après RawVoice, une entreprise qui mesure notamment l’audience des podcasts. « Après la victoire de Donald Trump, nous avons décidé – nous avons réalisé – que la démocratie n’était pas seulement un travail de politiciens », commente un fondateur de «Pod Save America» dans le New York Times. Cette tendance ne peut qu’accélérer le mouvement d’extrême polarisation du paysage médiatique américain. D’après un récent rapport de Reuters Institute (Digital News Report 2017), qui a comparé 36 pays, les médias américains sont de loin les plus polarisés du monde. L’institut souligne ainsi la relation quasi exclusive des conservateurs avec la chaîne Fox News et leur intérêt croissant pour le site d’extrême droite Breitbart. Dans l’ère Trump, les États-Unis sont plus divisés que jamais, et de nombreux chercheurs y voient une des conséquences des «chambres d’écho» que les médias américains, mais surtout que les réseaux sociaux ont créées en permettant aux Américains de filtrer ce qu’ils voient ou lisent. Dans Démocratie divisée à l’ère des médias sociaux, le professeur Cass Sunstein écrit : «Le repli sur soi et la personnalisation (…) propagent des mensonges et encouragent la polarisation.» L’année 2016 a ainsi été l’année des «fake news», disséminées via les réseaux sociaux par des utilisateurs incapables de faire la part des choses entre ce qu’ils avaient envie d’entendre et la vérité. Le tout encouragé par un Président qui n’hésite pas à accuser les médias de mentir, voire à les décrire comme «les ennemis du peuple américain».
Depuis l’élection de 2016, plus de 1600 podcasts politiques, en majorité anti-Trump, sont apparus.
Intérêt croissant pour des médias différents
Parallèlement, et peut-être en réaction à cela, les Américains plébiscitent de plus en plus un journalisme de fond, comme un antidote aux parti pris, mais aussi aux «breaking news» et autres dérives de l’info-spectacle. Un des exemples les plus marquants s’appelle Medium. Une plateforme de blogs épurée, qui se targue de laisser parler «ceux qui savent», en profondeur et en longueur. «Medium veut être l’endroit où, par défaut, les gens vont quand ils ont des idées, des histoires ou des conversations qui comptent», relevait Matt Higginson, un des employés, pour expliquer l’attrait de cette plateforme de blogs. Des sites de «fact-checking» (vérification des faits) comme PolitiFact, des projets de journalisme lancés sur des plateformes de crowdfunding, des médias qui font de l’enquête leur marque de fabrique comme ProPublica ( et ses quatre prix Pulitzer ) : la liste des médias qui, ces dernières années, se sont créés ou ont prospéré en marge, en réaction ou en opposition avec les médias de masse, est longue. Pour autant, la polarisation de la société américaine et les attaques répétées du Président américain envers les médias n’ont pas signé l’arrêt de mort des médias traditionnels. Bien au contraire. En mai 2017, le PDG du New York Times affirmait que le premier trimestre après l’élection de Donald Trump avait rapporté 300 000 abonnés supplémentaires au journal. Des pics similaires ont été observés au Washington Post et pour d’autres titres. À la télévision, la progressiste MSNBC et la conservatrice Fox News ont vu leurs audiences monter en flèche. Et, signe que ces médias traditionnels sont loin d’avoir été rendus obsolètes, leurs titres ont bondi en Bourse.
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