… et le Ciel t’aidera

On dit qu’on voit mieux en prenant de la hauteur. En médecine, l’usage grandissant des satellites le prouve. Surtout pour traquer de minuscules moustiques porteurs de maladies.

George Orwell n’avait rien compris : Big Brother nous veut du bien. On exagère un peu mais oui, dans certains cas, être surveillé de près, de très près, peut nous faciliter la vie. Voire nous la sauver. C’est un fait ! Le moindre de nos faits et gestes est épié ou enregistré par les milliers de satellites qui tournent 24 heures sur 24 au-dessus de nos têtes : près de 2800, dont rien que ces dernières semaines trois nouveaux, un russe, un indien et un tunisien, le premier lancé par un pays du Maghreb. De quoi collecter une foule d’informations utiles sur la santé des habitants de notre bonne vieille Terre, puisque c’est de ça dont il s’agit. Surveiller notre planète depuis le ciel pour prévenir épidémies et propagations de virus. Et quand cela est possible de le localiser, lorsque le phénomène est bien cerné. Ce qui n’est, hélas, pas le cas au sujet du Covid-19, pas encore tout du moins.

Traquer les cancers
Le procédé n’est pas nouveau, mais il gagne en intensité. Dès les années 1970, les Américains ont commencé, par exemple, à produire des cartes à vaste échelle de lieux propices au développement des moustiques. L’idée est simple : « utiliser tous les outils à disposition pour améliorer la santé des gens », explique dans Le Figaro le Dr Jean-Emmanuel Bibault, oncologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris et co-auteur, avec d’autres chercheurs français et britanniques, d’une étude parue fin 2020 dans la revue Cancers. Un exemple ? S’intéresser aux sept plus grosses villes américaines et découvrir pourquoi les habitants de telles zones sont plus frappés par des cancers que la moyenne. L’étude a ainsi localisé une présence plus forte de la maladie à Beverly Hills où les grandes villas avec piscine ont poussé comme des champignons. « Cela indique que les gens y sont plutôt aisés et âgés. Ils courent donc un risque accru de contracter la maladie », estime le chercheur français.

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Institut Pasteur de Guyane
Mis sur pied par l'Institut Pasteur de Guyane, le projet DETECT vise à établir une cartographie du risque vectoriel à partir d’images satellites à très haute résolution.

Ailleurs, ce sont les moustiques que l’on traque. L’insecte propage la malaria, le paludisme, la dengue et la fièvre jaune. Du règne animal, il est celui qui tue le plus, en Afrique et en Asie. En France, le Centre national d’études spatiales (CNES) fournit des images de satellites très précises, comme une cartographie, une « météo du moustique ». Notamment en Afrique de l’Ouest. « Nous avons créé une application qui produit des cartes prédisant les densités de ces insectes, à l’échelle fine des quartiers pour adapter les actions de lutte sur le terrain », précise Marie Demarchi, ingénieur spécialisée en géomatique, la discipline qui s’occupe de la collecte et du traitement des données géographiques.
Ailleurs, Américains et Australiens scrutent le ciel pour mieux prédire et prévenir ici-bas. Kenneth Linthicum, directeur de recherche au Ministère américain de l’agriculture, explique combien ces analyses sont précieuses : « Nos travaux consistent à utiliser des données satellitaires pour surveiller l’environnement surtout quand elles ont trait à la transmission de maladies par les moustiques. Nous avons été en mesure de prédire des épidémies de fièvre dans la vallée du Rift entre deux et cinq mois à l’avance. » Les alertes sont aussi envoyées aux responsables de l’Organisation mondiale de la santé à Genève et à leurs collègues de la FAO à Rome.

Grâce aux données satellitaires, nous avons été en mesure de prédire des épidémies de fièvre dans la vallée du Rift entre deux et cinq mois à l’avance.

Kenneth Linthicum, Directeur de recherche au Ministère américain de l’agriculture

Comme lui, son collègue australien Archie Clements, directeur de la faculté de santé publique de l’université de Canberra, traque les moustiques, par ailleurs responsables de la transmission de la dengue. « Certaines infections sont très sensibles à leur environnement, surtout les maladies parasitaires. Grâce à la télédétection par satellite il est possible d’identifier des endroits où la maladie peut proliférer. » Pour ce faire, on étudie depuis le ciel les évolutions des températures, les précipitations, l’évolution de la végétation, le taux d’humidité… Or en Afrique ou en Asie du Sud-est, qui dit sécheresse dit reproduction des moustiques près des populations humaines ; et qui dit températures chaudes dit augmentation de la transmission de l’infection, notamment de la dengue.

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© CNES/, 2017
La ville de Brasilia au Brésil vue par le satellite Venµs.

Bien sûr, l’observation satellitaire ne relève pas du miracle et ne permet pas, à elle seule, de régler des questions aussi sensibles. Mais conjuguée à d’autres actions plus terre-à-terre, elle permet d’aller plus vite dans l’étude des terrains propices aux infections et aux épidémies. En Guyane par exemple, d’où décollent les fusées Ariane, l’Institut Pasteur s’est associé au CNES pour, notamment, prédire, plusieurs mois à l’avance, une épidémie de dengue.
Claude Flamand dirige l’unité d’épidémiologie de l’institut. Épidémiologiste et biostatisticien, il collabore au projet DETECT, pour mieux cibler les zones à haut risque. Là encore, tout part du ciel et des images satellites très haute définition : « Grâce à elle, nous pouvons identifier des habitations autour desquelles on observe de la végétation, beaucoup d’arbres fruitiers ou de plantes, une piscine… » Ensuite, pour mieux définir des modèles pertinents pour d’autres zones d’habitation, des scientifiques se rendent sur place pour collecter des moustiques et des larves. Eux y vont en pirogue ou en voiture, à l’ancienne. Histoire de garder les pieds sur terre.