En France, l’accès aux soins est menacé par la crise

En cet après-midi de décembre, le centre de Médecins du Monde de la Plaine Saint-Denis, en banlieue parisienne est plein à craquer. Engoncés dans des manteaux, hommes, femmes et jeunes enfants font la queue en ligne serrée en attendant l’ouverture des portes.

Les températures frôlent 0 degré. La France, depuis la création de la Sécurité sociale en 1945, est réputée pour avoir le système de santé le plus égalitaire du monde. Tout le monde peut avoir accès aux mêmes soins, qu’il soit riche, pauvre, ou même sans-papiers. « Ça c’est la théorie, explique Nathalie Godard, coordinatrice du centre. Mais dans la pratique, les hôpitaux sont débordés et refusent de plus en plus les personnes qui ne sont pas affiliées aux caisses d’assurance-maladie. » Il s’agit en majorité de personnes sans-papiers, qui ne sont ni inscrites à la CMU (Couverture Maladie Universelle), ni à l’AME (Aide Médicale d’Etat). « Il faut pouvoir prouver que vous êtes présent sur le territoire français depuis plus de trois mois, poursuit Nathalie Godard. Et c’est un vrai casse-tête administratif pour ces gens, qui vivent le plus souvent dans la rue ou dans des squats. » Monsieur R.* est venu aujourd’hui se faire renouveler une ordonnance pour son problème cardiaque. Sur le bureau du docteur, des dizaines de boîtes de médicaments génériques s’amoncellent. Il y a six ans, Monsieur R. a subi une lourde opération à cœur ouvert dans son pays, en Roumanie. « J’ai dépensé toutes mes économies pour l’opération, explique-t-il dans un français approximatif. Je n’ai plus d’argent pour les médicaments. Si je n’étais pas là, je serais mort. » Maladies cardiaques, problèmes psychiatriques, fièvre des nourrissons, les patients sont pris en charge gratuitement par cette ONG. L’occasion aussi pour les médecins de repérer des maladies chroniques et contagieuses, comme la tuberculose, qui a fait sa réapparition en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres de France. Dans cette antenne de Médecins du Monde, dix cas de tuberculose ont été recensés en 2014. Un record. « L’accès aux soins n’est pas seulement un problème social, souffle le docteur, c’est aussi un problème de santé publique. »

On estime que 26% des Français ont renoncé ou retardé un soin pour des raisons financières au cours des douze derniers mois.

L’accès à la santé n’est pas seulement difficile pour ces personnes, exclues et sans existence administrative. On estime que 26% des Français ont renoncé ou retardé un soin pour des raisons financières au cours des douze derniers mois. En cause : les dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins libéraux, et notamment spécialistes (ophtalmologues, dermatologues, chirurgiens dentistes, psychiatres…). Les dépassements d’honoraires, c’est le combat du Dr May, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS). « Il y a des déserts médicaux, car il n’y a pas assez de médecins dans certaines régions de France, explique-t-il. Mais il y a aussi des déserts médicaux pour les pauvres, car dans certaines régions, la grande majorité des médecins pratique des tarifs plus élevés que le remboursement de la Sécurité sociale. C’est le cas à Paris, par exemple. » Dans le centre de santé de Malakoff qu’il dirige, les médecins généralistes et spécialistes sont salariés, et non payés à l’acte. Ils ont l’obligation de mettre en place le « Tiers-Payant », c’est-à-dire que les patients n’ont pas d’argent à avancer pour leurs frais. « En période de crise, avancer 23 euros (27 CHF), pour un grand nombre de personnes, ça peut être compliqué. Et pas seulement pour des gens en situation précaire », poursuit le syndicaliste. En ce début d’année, de nombreux médecins sont en grève pour protester contre le projet de loi du gouvernement qui voudrait rendre obligatoire le Tiers-Payant pour le paiement des consultations. Eric May n’a pas participé au mouvement. Jean-Francois de Corty, directeur des missions France pour Médecins du Monde, soutient également cette mesure du gouvernement qui viserait à plus de « justice sociale ». Selon lui, « il y a une vraie nécessité à encourager les personnes à aller consulter plus tôt. »

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