Préserver le patrimoine c’est (aussi) sauver l’humanité
Voilà un certain nombre d’années, je fus incorporé – à ma surprise – dans une division de la Protection civile nommée Protection des biens culturels (PBC). Ma surprise de jeune homme provenait du fait que j’avais toujours – sans y réfléchir plus longuement – considéré la Protection civile comme un instrument voué à se préoccuper du sort des personnes et non du « matériel », fût-il culturel. Je découvris pourtant le sérieux avec lequel cette Protection des biens culturels était considérée par nos autorités, au noble motif qu’il n’y aurait aucun sens à sauver des personnes si l’on ne préservait par ailleurs rien de ce qui faisait leur patrimoine, leur identité et leur histoire. (*)
Dans le dossier de ce numéro, nous proposons un tour d’horizon de quelques objets de patrimoine, certains respectés, préservés et restaurés, d’autres menacés ou détruits. Car, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, l’être humain est capable du meilleur et du pire. C’est ainsi que Tel-Aviv et son architecture Bauhaus ont par exemple fait l’objet d’une sauvegarde et d’une restauration tout à fait récentes (**). À l’inverse, l’Asie a connu des dégâts irréversibles, avec un perfectionnisme moderniste regrettable : à Singapour ou à Pékin, on n’a eu de cesse que de raser des quartiers entiers pour reconstruire du « propre en ordre ». Ne mentionnons que pour ne pas l’oublier un des aspects les plus monstrueux de la folie humaine, la guerre et son lot de destructions aveugles, de Dresde en 1945 à Alep hier ou au Yémen aujourd’hui. Enfin la simple bêtise et la négligence crasse produisent aussi leurs tristes résultats : que l’on songe par exemple au Museum d’histoire naturelle de Rio (une « vague d’émotion » s’est levée sur les réseaux sociaux, avant de retomber). Quant à la Ville de Genève, elle a entreposé de façon irresponsable nombre d’œuvres d’art au Palais Wilson, où un incendie les détruisit. D’ailleurs, ce n’est apparemment plus (seulement) le feu qui menace le patrimoine municipal, mais l’eau, puisque le tout nouveau dépôt de biens culturels d’Artamis est pour l’instant inexploitable en raison d’infiltrations (il a aussi plu à verse dans le Grand Théâtre)…
Ailleurs, d’autres joyaux sont menacés mais peuvent encore être sauvegardés : la Casbah d’Alger ou le « quartier Tabon » de Jamestown au Ghana (***). Puissent une prise de conscience et un sursaut assurer leur préservation pour les générations futures ! C’est aussi l’occasion de se rappeler qu’un patrimoine culturel prend des formes diverses, il n’est pas forcément architectural, « construit ». La Suisse offre de beaux exemples : les bateaux historiques amoureusement entretenus qui sillonnent le lac, les paysages viticoles de Lavaux (reconnus par l’UNESCO) ou encore le Jardin botanique alpin créé par Amable Gras.
De même, rien n’est tout blanc ni tout noir : la reconnaissance de l’UNESCO par exemple (ou le simple « label Monument Historique ») peut être un talisman protecteur ou une menace, avec l’afflux touristique massif qu’elle génère. Qui aura visité le Palais Idéal du Facteur Cheval dans les années soixante et aujourd’hui aura constaté combien l’expérience a été dénaturée par l’enfermement du monument et les bien vilaines constructions – la première vision à laquelle est confronté le visiteur – destinées à canaliser le public et abriter la billetterie et la vente de souvenirs inutiles, voire sordides. Enfin rappelons-nous peut-être que rien n’est éternel : il ne reste plus qu’une seule des Sept Merveilles du monde de l’époque antique (et je ne vous ferai pas l’injure de préciser laquelle).