L’écologie industrielle prend son essor à Genève
Priorité du canton romand depuis plus de vingt ans, l’écologie industrielle est en passe de devenir l’un de ses principaux atouts en matière de durabilité. Revalorisation des déchets, écoParc, pompage de l’eau du lac… les projets se multiplient.
Peut-on marier écologie et industrie ? A priori, tout oppose ces deux termes. Pas à Genève où l’écologie industrielle intéresse les acteurs économiques et politiques depuis le début des années 2000. « Nous y travaillons depuis plus de vingt ans. Nous avons donc une bonne longueur d’avance sur les autres cantons, se félicite Daniel Chambaz, directeur de l’Office cantonal de l’environnement (OCEV). Genève était en effet la première collectivité publique en Europe à avoir effectué une étude de son métabolisme et, sur cette base, lancé de premiers projets concrets d’écologie industrielle. Cette approche est aujourd’hui ancrée dans la Constitution genevoise, dans le plan directeur cantonal et dans la loi sur l’énergie. » Voilà pour le cadre. Un cadre dont l’avant-gardisme crée un cercle vertueux comme le précise Suren Erkman, professeur en écologie industrielle à l’Université de Lausanne et président de Sofies Group. « Ce qui est surtout frappant, c’est l’intérêt de plus en plus marqué de la part des milieux économiques pour des approches telles que l’écologie industrielle, en particulier sous l’angle de l’économie circulaire. Le monde politique lui emboîte le pas, en créant des conditions-cadres plus favorables. Il faut dire qu’une certaine pression citoyenne sur ces enjeux pousse les gouvernements à aller de l’avant. »
Génie en réseau
Très concrètement, l’écologie industrielle vise à faire évoluer le système économique pour le rendre plus durable, et donc plus viable. Un exemple ? La transformation des zones industrielles genevoises en écoparcs. Pour y parvenir, le canton mise sur l’industrie 4.0 et une gestion participative des activités sur site. En offrant la possibilité aux entreprises de partager un parking ou un espace de restauration, par exemple. Tout en améliorant leur gestion des déchets. Pour y parvenir, la plateforme d’échange et d’émulation Genie.ch a été créée. « Son audience est en augmentation constante, que ce soit à Genève ou à l’international, se réjouit Daniel Chambaz. En effet, Genie.ch est reliée à d’autres plateformes de ce type, principalement en France, et les informations circulent à l’intérieur de ce grand réseau de réseaux. Les membres participent également en nombre aux ateliers organisés sur des thèmes particuliers intéressant les entreprises. Les derniers portaient sur la déconstruction, le stockage et l’entreposage, ou encore l’écoconception. »
De la même manière, la Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI) aide les PME à avancer dans leur transition écologique comme le rappelle son directeur Guillaume Massard. « Depuis 2015, trois commissions écoParc ont été constituées à Plan-les-Ouates, Bois-de-Bay, et Riantbosson. Ces commissions sont composées de représentants de l’État, des communes, des entreprises et de la FTI qui en assure la coordination et l’animation. En matière d’écologie industrielle, certains métiers font l’objet de réglementations strictes, comme ceux de la construction. Ainsi, les déchets de chantiers ne peuvent plus être simplement mis en décharge ou incinérés, et doivent aujourd’hui être recyclés ou réutilisés de manière minutieuse. »
Réticences économiques
Ainsi, le réseau de chaleur à distance de la zone industrielle de Plan-les-Ouates récupère, stocke et distribue aux entreprises voisines la chaleur froide produite par un important datacenter. « Un autre exemple emblématique est la construction du réseau Génilac par les SIG qui permettra de chauffer en hiver et de refroidir en été grâce à un pompage à 40 mètres sous la surface du lac le centre-ville et la zone de l’aéroport, reprend Daniel Chambaz. Genève Aéroport est la première plateforme aéroportuaire au monde à avoir lancé un programme de déploiement à large échelle de l’écologie industrielle sur son site comprenant la compréhension des flux de matières et d’énergie pour l’ensemble des activités présentes, ainsi que la recherche et la mise en œuvre de solutions. »
Dans ce concert de louanges, Hélène Gache, directrice de l’Office de promotion des industries et des technologies (OPI) tient cependant à apporter une nuance : « Nous sommes dans un cheminement en yoyo à savoir une démarche largement promue, mais une concrétisation modérée si on pense à des développements de zones industrielles écoresponsables et mutualisées comme souhaité avec le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV). En effet, la réalisation d’écoparcs rencontre des résistances aux changements reposant sur des inquiétudes réelles pour certains industriels et PME en matière de concurrence et de rentabilité, les investissements à court terme étant trop importants. Seuls les plus visionnaires, résilients et disposant de moyens s’y risquent. » Dès lors, comment faire encore plus en matière d’écologie industrielle ? « Il faut communiquer sur ce qui fonctionne et prôner la durabilité comme un modèle vertueux qui doit être vu au travers d’un filtre innovant, poursuit la directrice de l’OPI. Si un industriel s’engage dans ce modèle, il s’assure une pérennité à long terme et sa compétitivité est accrue. »
Alpha Dramé, directeur de l’Institut international de l’écologie industrielle, estime pour sa part qu’il convient de « rédiger une loi d’application de l’article constitutionnel sur l’écologie industrielle pour permettre aux acteurs publics et privés de mettre en application les principes de l’écologie industrielle dans un cadre législatif précis. » Daniel Chambaz, lui, milite en faveur d’une prise de conscience au-delà des cercles politique et économique. « Ce qui est important, c’est que toutes les couches de la société prennent conscience que nous habitons une planète fragile et qu’à tous les niveaux, individuel, des entreprises ou des territoires, à toutes les échelles, nation, région, canton, commune, il est important que chacun prenne urgemment ses responsabilités pour réduire son impact sur l’environnement. » Guillaume Massard abonde. « Les pouvoirs publics soutiennent les entreprises qui s’engagent dans des processus de production plus durables. Les progrès technologiques extrêmement rapides sont une source d’inspiration constante pour un usage plus efficace des ressources naturelles. Couplées à d’autres solutions simples et locales, elles permettent aujourd’hui une vision des activités économiques du futur. » Avec en ligne de mire l’industrie 4.0. ■