Débattre, combattre…
La montée de l’intolérance et la violence croissante du débat – ou plutôt des affirmations péremptoires d’opinion – dans la société contemporaine est un sujet préoccupant.
Mais avant de proposer à nos lecteurs un dossier consacré à ce thème brûlant, nous avons hésité. Devions-nous, après Onfray, Finkielkraut et tant d’autres, brandir l’étendard de la liberté d’expression menacée par les bien-pensants et les minorités suractives ?
De façon très prosaïque, nous sommes arrivés à la conclusion que rien n’était plus important, ni plus actuel que de réfléchir constamment aux exigences et aux conditions d’un débat sain et vigoureux. Distinguons d’emblée le conflit (d’idées !) et la violence. Ne sommes-nous pas tous, une fois ou l’autre, emportés par nos passions ? N’avons-nous pas tous, un jour, eu la tentation de censurer la parole d’autrui ? C’est être humain que d’avoir des convictions et d’espérer les faire partager. Et c’est tout aussi humain que de préférer parler plutôt qu’écouter.
Dès lors, souvenons-nous que la polémique, et même la violence dans le débat public, sont vieilles comme l’humanité. Voltaire souhaitait ouvertement la mort de Rousseau. Avant lui, le grand Cicéron bombardait Marc-Antoine de philippiques assassines. Théodore de Bèze comparait l’Église catholique à une catin. Quant à Magritte, il n’a pas hésité à écrire à un critique : « Tout le monde m’assure que vous n’êtes qu’une vieille pompe à merde et que vous ne méritez pas la moindre attention ». Quelques années auparavant, en 1918, Madame Caillaux avait assassiné le directeur du Figaro pour des articles attaquant son ministre de mari… et avait été acquittée !
Les réseaux sociaux n’auront fait que rendre plus visibles, plus contagieuses et parfois plus dangereuses les polémiques ou les haines. Certaines dérives sont navrantes et l’on peut – quoi que l’on pense de son humour – ressentir de l’empathie face au malaise d’une humoriste (Claude-Inga Barbey) visiblement accablée, baissant les bras face à certains censeurs coincés. Mais sans doute vaut-il mieux sourire de certains délires rappelés dans les pages qui vont suivre, comme l’exigence d’être noire pour débattre face à Angela Davis ou l’exclusion des hommes des premiers rangs d’un cortège féministe…