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De la page blanche à l’insertion dans le site

Nommée au 1er septembre 2019, Babina Chaillot Calame est la nouvelle conservatrice cantonale des monuments au sein de l’Office genevois du patrimoine et des sites. Où il est question de patrimoine « majeur », « mineur », conservé...

Immorama : Peut-on dire que Genève a globalement su conserver son patrimoine ?

Babina Chaillot Calame : De manière générale, Genève s’est dotée, depuis fort longtemps, de bons instruments légaux pour protéger son patrimoine. La Loi sur la conservation des monuments et la protection des sites date de 1920 ; cette première loi charge le Conseil d’État de « veiller à la conservation des monuments, des objets et des sites, ayant un caractère historique, scientifique ou esthétique et classés ». C’est par cette même loi qu’est instaurée la commission dite « des monuments et des sites ». Avec la loi de protection de 1920 et celle sur les constructions de 1929 (LCI), l’ébauche des deux grands axes de la protection du patrimoine bâti et naturel est tracée : celle des objets dans leur matérialité, d’une part, et celle du caractère des quartiers, ensembles et sites naturels et zones protégées d’autre part (notamment les zones villageoises).

La révision de la loi de 1920 en 1976, la LPMNS, introduit deux nouvelles mesures de protection : le « plan de site » et la « mise à l’inventaire des bâtiments dignes de protection ». À cette époque, Genève se dote d’un Service de protection du patrimoine. Le maintien des bâtiments en zone protégée est inscrit dans la LCI en 1983 : protection des ensembles fin XIXe – début XXe (Loi Blondel). Depuis 1970, le Canton mène une politique de recensement architectural de toutes les communes (RAC). À l’échelle cantonale, Genève peut être fier de la préservation de sa campagne. On le doit à une politique rigoureuse d’aménagement du territoire, dans le respect de la zone agricole.

Comment déterminer ce qui appartient au patrimoine et mérite d’être sauvegardé ?

Il y a plusieurs catégories de patrimoines pour lesquels les experts se déterminent selon différents critères : ancienneté, rareté, qualité architecturale du bâtiment (lignes, formes, matériaux), qualité d’insertion dans le site (jardin, parc, topographie, site), renommée de l’architecte, du commanditaire, de ses habitants, représentativité d’une activité/d’un événement, mémoire d’un fait historique, et aujourd’hui attachement de la population.

Le patrimoine le mieux reconnu est le patrimoine majeur ; il comprend les monuments historiques emblématiques de l’organisation de notre société : le patrimoine religieux et archéologique, la Vieille-Ville, les bâtiments civils (hôtel de ville, palais de justice, hôpitaux, écoles, musées), également les grands domaines de campagne des familles patriciennes des XVIIIe et XIXe siècles. Dès la seconde moitié du XXe siècle apparaît un intérêt pour un autre patrimoine, dit « mineur » : patrimoine industriel, rural, villageois, artisanal, logement bourgeois (ensemble de la ceinture fazyste et villas suburbaines), logement ouvrier, cités-jardins. Ce patrimoine jalonne notre territoire et permet de retracer l’histoire du canton.

Plus récemment, on s’est intéressé à l’architecture moderne issue des années 1950 à 1970 ; novatrice dans ses formes et l’emploi des matériaux, elle s’inscrit souvent dans une véritable vision urbanistique cantonale. Au fil des années et de la densification du canton, l’intérêt patrimonial ne porte plus seulement sur les bâtiments isolés, mais de plus en plus sur les objets dans un contexte qui leur confère une valeur d’ensemble.

Doit-on s’inspirer du passé, c’est-à-dire « refaire à l’identique », voire « faire du faux vieux », ou au contraire innover lorsqu’on bâtit ? Et comment le déterminer ?

Dans la mesure où l’on ne souhaite plus un urbanisme de la page blanche, mais une densification qui s’intègre dans le tissu existant, on imagine le patrimoine comme élément fédérateur de projets. De nouvelles constructions qui s’inspirent du « génie du lieu », qui s’insèrent dans le site avec des formes, des gabarits, des matériaux, des couleurs en adéquation avec le patrimoine existant, y compris sous sa forme naturelle. Le patrimoine maintenu peut alors conserver son affectation première ou se prêter à une réaffectation qui participe de la vie du quartier ; dans un cas comme dans l’autre, il est le meilleur exemple de durabilité. S’inspirer du passé n’est pas synonyme de construire « comme avant », ni surtout de faire du « faux vieux ». L’époque du pastiche est révolue ! En revanche, celle du remploi des matériaux de construction va commencer.

Y a-t-il à Genève des exemples de patrimoine conservé/valorisé, et des exemples du contraire ?

Les réussites se nomment Quartier des Grottes, Bains des Pâquis, Pont de la Machine, BFM, Cinéma Bio, Usine Sicli, Passage des Lions : des lieux patrimoniaux qui font naître de véritables projets, souvent culturels et associatifs ; ce sont des sites redynamisés grâce à une bonne adéquation entre un patrimoine et un programme. On espère que le Cinéma Plaza ou l’ancienne Step d’Aïre (Porteous) trouveront la même dynamique. Le patrimoine conservé, mais pas obligatoirement ouvert sur la Cité : je pense au Palais Wilson. Enfin, on peut déplorer la perte du vieux Quartier de Saint-Gervais (tabula rasa pour des motifs de salubrité), de la Cité Vieusseux et plus récemment du site du Jeu-de-l’Arc, pour des questions de densification et de construction de logements.

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