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Interview de Pascal Couchepin

Le peuple a marqué un bel autogoal en bureaucratisant et en étatisant les procédures d'engagement et de choix de la main-d'oeuvre étrangère.

Pascal Couchepin, Ancien président de la Confédération suisse

Avez-vous le sentiment que l’exercice des libertés individuelles est devenu plus restreint ces dernières années ?

Je ne le pense pas ! Les libertés individuelles n’ont pas reculé, parce que le contrôle social est beaucoup moins fort aujourd’hui qu’il ne le fut avant Mai 68. On a oublié combien la société, à l’époque, était étroitement verrouillée. Aujourd’hui, il n’y a que quelques domaines où l’on est plus surveillé que jadis, par exemple la circulation routière.

Assiste-t-on, selon vous, à une mondialisation ou à une américanisation, y compris sur le plan du contrôle « en amont » des activités financières, des déplacements, etc. ?

La mondialisation est un phénomène évident. Le crime aussi s’est mondialisé, et la nécessité de coordonner les activités de contrôle et de sécurité sur le plan international s’est imposée. Naturellement, la puissance dominante étant les Etats-Unis, ils donnent le « la », et en se préoccupant d’abord de leurs intérêts à eux. Mais si ce n’était eux, qui le ferait?

La réalité sinistre du terrorisme justifie-t-elle des mesures de sécurité plus drastiques et plus invasives de la vie privée ?

Il y a toute une série de mesures indispensables pour lutter contre le terrorisme, à commencer par le repérage des flux financiers dont il bénéficie. Sur le terrain, il faut évidemment veiller à ce que des gens aux intentions perverses ne puissent accéder à des lieux publics ou à des objectifs stratégiques. Une juste intensité de ce contrôle est souhaitable ; pour l’instant, je ne pense pas que l’on soit allé trop loin.

La Suisse souffre-t-elle d’un excès de bureaucratie ?

Certainement ; il y a toujours trop de bureaucratie. Mais cette inflation bureaucratique ne vient pas toujours d’où l’on pense. L’exemple récent le plus frappant est la votation du 9 février 2014 sur l’immigration, qui va induire une gigantesque charge administrative pour les entreprises. Le peuple a marqué un bel autogoal à cet égard, en bureaucratisant et en étatisant les procédures d’engagement et de choix de la main-d’oeuvre étrangère.

La densité de normes et de lois a pour corollaire paradoxal – aux yeux de nombreux observateurs – le triomphe du capitalisme et de l’argent. Comment l’expliquer ? La liberté est-elle réservée aux riches et aux puissants ?

On peut effectivement estimer que les personnes très riches, mais aussi les personnes très pauvres, échappent en partie aux règles ordinaires et que la classe moyenne assume l’essentiel des soucis de notre époque. Mais pour moi, la vraie liberté est celle de s’assumer, d’avoir des convictions et la possibilité autant que le courage de les confronter à celles d’autrui. Il faut bien sûr que les conditions des libertés publiques soient garanties, mais la liberté personnelle, la liberté authentique, c’est d’avoir en soi la capacité d’être libre.

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Société