Un immeuble pour les femmes
À Genève, dans le quartier des Palettes à Lancy, l’Association les Vernets d’Arve (AVA) inaugure son quatrième immeuble exclusivement réservé à des femmes – seules ou avec enfants – en situation de précarité.
Un immeuble dont tous les habitants sont des habitantes en situation difficile ? À Genève ? Si, si ça existe. Depuis plus de soixante ans, l’Association les Vernets d’Arve (AVA) œuvre ainsi pour offrir un toit à celles qui se trouvent dans la précarité. Un premier pas pour s’en sortir et à loyer modéré. « Sans logement, il n’y a pas de reconstruction, explique la Conseillère d’État Nathalie Fontanet devant l’immeuble que l’AVA inaugure à Lancy et dont les 29 appartements sont exclusivement réservés à ces femmes. On ne peut pas le faire dans un foyer ou dans la rue. Accéder à une habitation pérenne est un point majeur de l’autonomie de ces femmes. Je suis particulièrement heureuse d’être là aujourd’hui et de représenter le Conseil d’État qui soutient comme moi votre action. » À Lancy, les premières locataires prendront possession de leur logement le 1er septembre prochain. Réalisé par le bureau d’architecture Amaldi-Neder, ce bâtiment contemporain à très haute performance énergétique propose un maximum de logements – entre 2 et 4 pièces – avec une attention particulière portée à la lumière naturelle.
La magistrate chargée du Département des finances insiste également sur le partenariat public-privé qui a permis la réalisation de l’ouvrage. « Dans ce projet, le rôle de l’État s’est borné à accorder un droit de superficie, mais ce sont des privés qui ont collaboré, se réjouit-elle en remerciant l’AVA et son partenaire historique, la Société privée de Gérance (SPG) pour leur engagement. La SPG a piloté l’intégralité du projet en portant l’ouvrage à tous les niveaux aussi bien techniques que financiers », explique Marie Barbier-Mueller, membre de la direction générale de la SPG et membre du comité de l’AVA. C’est notre contribution pour venir en aide à ces femmes en situation d’urgence et faire en sorte que ces logements leur permettent de rebondir en toute quiétude dans leurs vies, de reprendre des études et de retrouver un travail. ».
Deuxième chance
Divorces, interruptions de travail pour s’occuper des enfants, inégalités salariales, la précarité touche davantage les femmes, relève Nathalie Fontanet. Un constat partagé par Sheila Buemi-Moore, présidente de l’AVA : « On parle souvent du plafond de verre, mais il y a aussi des femmes qui peinent à juste vivre normalement. C’est important de leur donner une deuxième chance. Beaucoup de femmes ont envie de s’en sortir. Il faut aussi lutter contre la stigmatisation pour ne pas les enfermer dans un statut de victimes. » Offrir du logement social aux femmes précaires est d’ailleurs la mission historique de l’Association. « Lors de sa création en 1960, les femmes n’avaient pas le droit de vote en Suisse, rappelle Sheila Buemi-Moore. Notre fondatrice, Renée Girod, était doctoresse. En effectuant des visites à domicile, elle a constaté que les femmes étaient mal protégées, en particulier les mères célibataires. Elles n’avaient pas le droit de signer un bail. » C’est ainsi que le premier immeuble de l’AVA a vu le jour en 1962, grâce à des fonds privés.
Actuellement, on a des hébergements d’urgence pour ces femmes, mais on manque de logements de transition. C’est exactement ce que représentent les appartements qui sont créés aujourd’hui.
À la fragilité financière, s’ajoute parfois le problème des violences conjugales. « Au début, l’AVA accueillait des victimes dans l’urgence, mais nos logements n’offrent pas l’encadrement dont ces femmes ont besoin pour se reconstruire dans un premier temps, poursuit la présidente. Aujourd’hui, ce sont plutôt les associations qui nous les adressent lorsque leurs situations se sont stabilisées. » L’action de l’AVA s’avère complémentaire de celle des foyers et des aides institutionnelles. « La loi prévoit que l’auteur des faits quitte le domicile, mais il peut arriver que la victime soit tout de même contrainte d’abandonner son appartement et de trouver un hébergement pour elle et ses enfants, reprend Nathalie Fontanet, également chargée du Bureau de l’égalité et de prévention des violences. Or, actuellement, on a des hébergements d’urgence, mais on manque de logements de transition. C’est exactement ce que représentent les appartements qui sont créés aujourd’hui. »
Les retraitées aussi
Après quatre ans de travaux, la présidente de l’AVA se réjouit de pouvoir répondre concrètement aux nombreuses demandes. « Il y a de plus en plus de femmes divorcées, souvent avec des enfants. À Genève, les familles monoparentales représentent aujourd’hui 21 % des ménages ! » Pour la première fois, l’immeuble des Palettes accueillera aussi des retraitées. « Jusqu’ici, l’AVA refusait leurs demandes, car un des critères d’attribution de nos logements est d’exercer une activité professionnelle, poursuit Sheila Buemi-Moore. Mais nous avons compris qu’il s’agit souvent de femmes qui ont travaillé toute leur vie et qui n’arrivent pas à s’en sortir financièrement. Pour l’immeuble des Palettes, nous avons donc supprimé ce critère et proposé des baux à durée indéterminée, au lieu du bail de trois ans en vigueur dans nos trois autres immeubles. »
Pour les bénéficiaires, ces logements représentent une véritable bouée de sauvetage. « Je parle encore aujourd’hui du studio qui m’a été loué. C’était ma première « vraie » maison. Son atmosphère, confortable et « sûre », me manque, témoigne une ancienne bénéficiaire de ces logements salutaires. Ces trois années ont joué un rôle très important dans ma vie et dans celle de ma famille. Les femmes aident les femmes. J’ai ainsi pu soutenir financièrement ma mère et ma sœur mineure. Les logements sont très onéreux à Genève, et il m’aurait été impossible de les aider si j’avais dû habiter ailleurs que dans un immeuble de l’association. Je la remercie d’offrir un tremplin aux femmes qui traversent des moments difficiles. »