À Sydney, le ciel finance l’entretien du patrimoine historique
Dans le centre-ville, les propriétaires de monuments historiques ont le droit de vendre leurs « droits aériens » pour financer l’entretien et la rénovation de leurs immeubles.
Au milieu d’une cour en terre battue se dresse un bâtiment de brique aux airs un peu austères. Il s’agit là d’une ancienne caserne, située en plein centre de Sydney, en Australie. Les Anglais qui l’ont construite, il y a deux cents ans, y ont d’abord logé les prisonniers, envoyés peupler cette colonie naissante, avant d’y installer les premiers services administratifs. Bien qu’il soit inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2010, il est difficile d’imaginer que le ciel qui surplombe cet édifice a été vendu, en mai dernier, pour 20 millions de dollars australiens (13,5 millions de francs).
Et pourtant ! C’est grâce à ce dispositif original, baptisé « Heritage Floor Space » (HFS), que sont financés en grande partie l’entretien et la rénovation des monuments historiques dans le centre de Sydney. « L’idée part du principe que l’architecture de ces bâtiments ne sera jamais modifiée et, notamment, qu’ils ne seront jamais surélevés. Dès lors que les propriétaires portent un projet de rénovation, ils le soumettent au Conseil municipal, qui décide s’ils peuvent vendre leurs « droits aériens » à des promoteurs, qui peuvent ainsi construire quelques mètres carrés supplémentaires dans le Central Business District », détaille Kelwyn Teo, directeur régional du groupe de conseil en immobilier CBRE. Dans le cas des Hyde Park Barracks, il a permis à Sydney Living Museums, le propriétaire et gérant, de mener à bien les travaux de rénovation en cours, avant de rouvrir courant décembre. Sans cette vente, « il n’est pas sûr que nous aurions pu réaliser la revitalisation de ce site, car nous n’aurions pu compter que sur des dons de philanthropes, des subventions et nos propres moyens, qui sont limités », confie Ian Innes, directeur de Sydney Living Museums, qui précise que les fonds obtenus à travers cette vente ont permis de financer « environ 75% de notre projet de rénovation ».
Parmi ceux qui ont acheté ces mètres carrés de ciel, il y a notamment Landlease Group, qui construit actuellement ce qui deviendra, en 2022, la plus haute tour de Sydney. Près de 20% de la surface autorisée pour ce futur gratte-ciel de 58 étages provient de l’achat des droits aériens des Barracks.
« Il y a évidemment un très fort intérêt des promoteurs pour ce type de ventes. Le centre de Sydney s’est beaucoup développé et densifié ces dernières années ; le seul moyen qu’il reste pour gagner des mètres carrés supplémentaires, c’est d’aller en hauteur », explique Kelwyn Teo.
Mais Robert Harris, expert en immobilier, estime pour sa part que le système a été perverti. « À l’origine, les promoteurs ne pouvaient acheter des droits aériens qu’à hauteur de 10% de la surface totale de leur projet. Puis l’Australie est entrée en récession dans les années 90 et le Conseil municipal de Sydney, pour relancer la construction, a décidé de relever ce seuil jusqu’à 25 ou 30%. Cela a provoqué une inflation de la demande, sans que l’offre change, et donc une flambée des prix de ces droits. » Effectivement, alors que le prix moyen du mètre carré « aérien » se situait autour de 400 dollars (270 francs) entre 2004 et 2014, il a atteint en 2019 le montant record de 1’605 dollars (1’080 francs). « Même si cela vous permet de construire des étages supplémentaires, dont le prix de vente sera supérieur, la rentabilité n’est pas assurée puisque ces mètres carrés ‹ bonus › sont vendus à un prix qui est actuellement 30% au-dessus des prix du marché », prévient Robert Harris.
Chacun des 16’183,75 mètres carrés de ciel mis en vente en 2019 ont pourtant trouvé preneurs.
Patrimoine