Suisse – Allemagne, le contentieux

La guerre fiscale est déclarée et les anathèmes fusent par-dessus les Alpes. Les « Indiens », les « criminels en bande organisée », la « cavalerie » : certains responsables politiques allemands usent d’un langage fort peu diplomatique à l’égard de la Suisse. Le fait mérite d’autant plus d’être souligné que l’Allemagne prend bien soin depuis la Deuxième Guerre mondiale de mesurer ses jugements sur les pays étrangers, par contraste avec la rhétorique guerrière des nazis.

Mais à mieux y regarder, il s’agit moins d’un contentieux germano-helvétique que d’un dossier politique interne à l’Allemagne. La gauche de l’échiquier – les sociaux-démocrates (SPD) et les écologistes (Grünen) – ont découvert un thème de campagne porteur en cette période de crise. Tout s’explique par la stratégie en vue de l’élection fédérale de septembre 2013. Pour sa réélection, la chancelière ne pourra guère compter sur l’appui du parti libéral FDP, crédité de faibles sondages. Pour espérer garder les commandes du pouvoir, Angela Merkel coupe l’herbe sous le pied de la gauche, en récupérant son programme : politique familiale, salaire minimum. La droite de l’électorat de la CDU l’accuse d’ailleurs de gauchiser son discours et de perdre de vue les valeurs conservatrices avec l’arrêt du nucléaire ou la réforme de l’armée. Dans le camp de la gauche, le SPD a fait de la lutte contre l’évasion fiscale son cheval de bataille, parce qu’il y voit un sujet qui le distingue clairement de la CDU et du FDP. Dès 2009, c’est le ministre des Finances d’alors, le social-démocrate Peer Steinbrück, candidat à la candidature SPD, qui sonne la charge.

La guerre fiscale est déclarée et les anathèmes fusent par-dessus les Alpes.

Cette année, l’offensive a repris de plus belle au printemps dernier, en plein cœur de la campagne électorale du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW). Une bataille décisive dans la région la plus peuplée d’Allemagne qui permettait à la gauche de s’assurer le contrôle du Bundesrat. L’aval de la Chambre haute du Parlement est obligatoire pour l’adoption de la convention de double imposition négociée avec la Suisse. Il n’y a quasiment aucune chance que ce texte passe l’obstacle de la « Chambre des régions » en novembre : l’occasion est trop belle pour l’opposition de planter une épine dans le pied de la majorité. Cette fois, l’initiative du rachat de données bancaires suisses revient au ministre des Finances du land, Norbert Walter-Borjans. Il se définit volontiers en « Robin des Bois » et assure faire la distinction entre les Suisses et leurs banquiers, « qui feront sauter les bouchons de champagne si la convention est ratifiée ». La ligne dure face à l’accord fiscal a été payante, la candidate sociale-démocrate ayant été confortablement élue en NRW, et le SPD espère rééditer le même coup aux législatives de l’an prochain. La droite, sous l’impulsion du ministre des Finances Wolfgang Schäuble, négociateur de l’accord ratifié en 2011, a beau appeler à la raison, l’année électorale est lancée et tous les moyens sont bons.

Mais pourquoi une telle virulence dans les attaques exclusivement dirigées contre le voisin ? Un leader du parti chrétien-démocrate a dénoncé une « guerre idéologique privilégiée à une solution civilisée » et les rivalités historiques entre la Suisse et le « grand canton » n’expliquent pas tout. L’Allemagne est le premier partenaire commercial de la Suisse et les deux pays ont beaucoup en commun, pas seulement une langue parlée par une bonne partie de la population helvète.

« Les Suisses ont des règles contre le blanchiment d’argent beaucoup plus strictes que les Allemands et ils sont les premiers à bloquer l’argent des potentats arabes poursuivis par la justice », remarque l’hebdomadaire die Zeit, mais personne en Allemagne ne lance une croisade contre les paradis fiscaux du Delaware ou des îles anglo-normandes. » Personne ne dénonce non plus l’opposition de l’Autriche et du Luxembourg à l’échange automatique d’informations. Non, seule la Suisse est dans le collimateur. « Le cliché de la grande place financière qui s’est bâtie grâce à l’argent des méchants reste dans l’imaginaire collectif, analyse Ulrike Guérot, directrice berlinoise du Conseil Européen pour les Relation Internationales (ECFR). Aux antipodes d’une Allemagne industrielle et travailleuse. Et c’est visiblement trop tentant pour certains de dénigrer sa place financière. » A cela s’ajoute une différence culturelle de taille : en Allemagne, le fisc prélève au contribuable l’argent qui lui convient ; en Suisse, le contribuable verse au fisc ce qui lui convient.

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