Un été 75

Avec son livre "Les battantes", Simona Brunel-Ferrarelli remporte le Prix SPG du premier roman. Rencontre avec l’auteure née à Rome, mais dont la découverte de la langue française et l’écriture ont changé la vie.

Comme chaque été, Lala,  13 ans, se retrouve à Rocca Patrizia, village rugueux de la province de Rieti, tout près de Rome. On est en 1975 et le temps s’écoule aussi lentement que la sueur sur la peau dans ce pays trop chaud. Dans ce décor se dénouent les jalousies, les secrets, les humiliations et les pertes de l’innocence. Poétique et percutante, l’écriture cale son rythme sur la moiteur de la terre et la rudesse de ses habitants, tandis que le récit alterne flashback, narration à la première personne et extraits de journal intime. Dans Les battantes, les hommes sont des colosses, mais ce sont les femmes qui tiennent les premiers rôles.

Il y a du Zola dans cette histoire de campagne où la bourgeoisie romaine en villégiature regarde tout le monde de haut et où les souvenirs d’amours ratés poissent sous le soleil. « Je viens d’une famille où on aime raconter des histoires. Le nom du village est faux, mais il existe, c’est celui où je passe chacun de mes étés. La trame aussi est inventée, mais elle relate des choses que j’ai entendues, des histoires que j’aurais aimé vivre et d’autres que j’ai vécues d’une certaine manière, mais que j’ai retranscrites à ma sauce », explique Simona Brunel-Ferrarelli, qui a choisi une photo d’elle enfant pour illustrer la couverture de son roman. « Il n’est pas autobiographique même si j’y ai mis beaucoup de moi. »

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Simona Brunel-Ferrarelli raconte une histoire de famille dans la moiteur de la campagne italienne.
Simona Brunel-Ferrarelli raconte une histoire de famille dans la moiteur de la campagne italienne.

Peur du talent

En 2018 Les battantes recevait le Prix littéraire de la Société genevoise des écrivains à l’unanimité du jury. Le 4 juin 2020, le livre remportait celui du Premier roman décerné par la Société Privée de Gérance (SPG). Le talent n’attendant pas le nombre des années, c’est aussi la première fois que Simona Brunel-Ferrarelli est éditée. Du moins, c’est la première fois qu’elle accepte de l’être. « J’ai toujours écrit, surtout des pièces de théâtre, mais je gardais tout cela pour moi. Un jour, j’ai envoyé un manuscrit auprès d’une grande maison parisienne. On me l’a renvoyé avec des propos élogieux, ce qui m’a flanqué une trouille bleue. Je n’ai jamais donné suite en me jurant de ne jamais recommencer. Je suis quelqu’un de très pudique, je sors peu, n’ai pas beaucoup d’amis et déteste les dîners en ville. Je ne me considère même pas comme une écrivain. Les aléas de la vie ont rendu nécessaire le fait que je sorte de ma coquille et que j’accepte d’exister. »

Écrire pour rebondir

La mort de sa mère en 2016 et le licenciement de son poste d’enseignante de français dans une école privée après dix ans d’ancienneté vont tout déclencher. « Je me suis enfoncée dans une dépression épouvantable. Lorsque je suis arrivée au chômage, ma conseillère m’a fait comprendre qu’à 50 ans j’étais morte socialement. Alors j’ai repensé à cette phrase que Marguerite Duras écrit dans L’Amant : l’important ce n’est pas d’arriver à quelque chose, mais de se sortir de là où on est. » Là où elle est, Simona Brunel-Ferrarelli ne sait faire que deux choses : enseigner et écrire. Le premier étant devenu psychologiquement impossible, il lui reste donc le second. « Je me suis lancée à temps plein sans savoir si je serais capable de construire un roman. Je me suis inventé mon propre job en m’imposant des horaires. Avec mon mari et mes enfants, on a dû se serrer la ceinture, mais c’est la meilleure chose qui me soit arrivée. Ce livre m’a fait un bien fou », continue l’auteure entourée de Luna et Pablo, ses deux golden retrievers, à qui elle voue un amour passionné. « Je me sens mieux en compagnie des animaux qu’avec les gens. J’ai un chat aussi. J’aimerais bien accueillir un perroquet. »

Passion Camus

Un bel oiseau parleur à qui elle raconterait l’histoire d’une petite fille née à Rome et qui arrive à Genève à l’âge de 9 ans. « Mon frère et moi ne parlions pas un mot de français. Nous avons mis très longtemps à l’apprendre. À la fin de mon livre, je remercie M. Dousse, le professeur qui m’a donné l’amour de cette langue dans laquelle j’ai ensuite énormément lu. » Des grands classiques principalement : Arthur Rimbaud, Émile Zola et surtout Albert Camus qui se trouve absolument partout dans l’appartement. « Je l’ai découvert quand j’avais 14 ans. J’étais une enfant terrible. Ma prof de français m’a mis L’Étranger entre les mains et ma vie a changé. Camus, c’est la mer, le soleil, l’homme libre, l’écriture. Pour autant, Zola décrit mieux ce que j’aime, ces histoires de tares familiales qui viennent du sang propre et du sang sale, ces mélanges entre les paysans et la grande bourgeoisie. Il y a de cela dans Les battantes. »

Camus, la star du confinement dont le monde entier s’est découvert des affinités avec Jean Tarrou, l’un des héros de La Peste. « Alors que c’est La Chute que les gens auraient dû lire. La Peste, il aurait fallu l’avoir lu et digéré avant pour que le coronavirus n’arrive jamais, analyse Simona Brunel-Ferrarelli qui a très mal vécu cette période d’enfermement volontaire. Au point de l’avoir exprimé dans Gangue, petit texte ironique et désabusé qui raconte cette étrange parenthèse pas du tout enchantée. « J’avoue, il m’arrive de regarder sur internet ce que devient Les battantes. J’ai ainsi appris qu’il se trouvait dans cinq bibliothèques d’écoles publiques. Pour moi, qui me suis fait renvoyer du privé, c’est une belle façon de rebondir, non ? »