Remplir le lac Tchad, l’énergie du désespoir

L’ancienne mer intérieure de l’Afrique s’assèche. Les pays qui l’entourent encouragent le transfert des eaux du Bassin du Congo. Une construction pharaonique qui ne tient pas compte des réalités de l’environnement et de la région.

C’est un projet colossal. « Irrationnel et utopiste », diront certains. Pour remplir le lac Tchad, dont la superficie diminue à vue d’œil, un projet de transfert des eaux de l’Oubangui prévoit de barrer les eaux d’affluents du Bassin Congo, pour en transférer 3,4 km3 chaque année, par un réseau de canaux de 2 400 km à travers la Centrafrique jusqu’au Tchad. Des représentants des pays de la zone se sont réunis début avril avec les bail-leurs de fonds pour remettre à jour ce projet, tombé en sommeil depuis les années 1990. Le lac Tchad est devenu le symbole mondial du réchauffement climatique. Les photos satellites de la Nasa sont affolantes. Le bassin, qui faisait environ 26 000 km2 de superficie en 1973 n’en fait plus que 4 000. Pour Emmanuel Nadingar, ancien premier ministre tchadien et grand défenseur du projet de transfert, cet assèchement est un « drame humanitaire » et le projet de transfert des eaux, « une solution évidente ».

Le lac Tchad est devenu le symbole mondial du réchauffement climatique.

Pourtant, les chercheurs qui se sont penchés sur la région ne mettent pas forcément en cause les chutes des précipitations ou la hausse des températures. « Il ne faut pas l’imaginer comme le lac Léman avec des contours bien dessinés, explique Géraud Magrin, géographe pour le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Sa superficie varie comme une flaque, car les fleuves qui l’alimentent ont des apports très irréguliers. Mais ça ne veut pas dire que, dans le futur, les eaux ne pourront plus monter. » Le projet de transfert permettrait de remplir la partie asséchée de la cuvette nord. « Ça n’est pas inutile, mais ça ne réglerait pas le problème, renchérit E.H. Malet, nommé Ambassadeur itinérant pour la sauvegarde du lac Tchad. Il faudrait déjà que les pays qui le bordent adoptent une vraie gouvernance commune, que le lac soit entretenu, que les projets d’irrigation soient contrôlés. »

Son bassin marécageux s’étend sur une périphérie large comme « quatre fois la France ». On estime que 2 millions de personnes vivent directement de ses eaux, à travers la pêche, le commerce ou l’agriculture. Un chiffre qui devrait doubler dans vingt ans. Mais le poumon hydrique de l’Afrique est devenu une des zones les plus dangereuses du monde. « Une tour de Babel » quasiment inaccessible à cause des groupes armés qui se sont réfugiés sur ses rives, et notamment les terroristes nigérians de Boko Haram. En se retirant, les eaux ont laissé place à des terres fertiles et dans une zone où les frontières sont poreuses. Les migrations de population sont fréquentes et créent de vives tensions entre les communautés et les pays voisins. Le transfert pourrait encore augmenter les désaccords. Ces voies d’eau pourraient être utilisées comme moyens de pression des pays par lesquels elles passent, la Centrafrique et le Tchad notamment. Mais ce projet devrait faire converger des millions de dollars grâce aux grands bailleurs de fonds. Une manne financière bien plus attrayante que d’adopter des mesures de gestion de l’eau au niveau national.

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