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Quand l’art permet de transmettre un savoir

Passionnée d’urbanisme et d’architecture, Sandrine Damour prône le développement durable et foisonne d’idées sur la façon de raconter la Terre et de la préserver.

Sandrine Damour, au profil atypique et interdisciplinaire, est à la fois artiste, architecte et chercheuse. Spécialisée en rénovation énergétique, elle a créé son propre bureau, Damour Création, où elle réalise des mandats d’architecture et de rénovation, en alternance avec ses projets artistiques et de recherche.

Influence des espaces sur les sensations et le comportement

En plus d’une expérience dans des bureaux d’architectes à Genève, notre interlocutrice a co-fondé une structure de recherche en architecture, Largescalestudios à Carouge. C’est dans ce cadre qu’elle a initié et mené, de 2014 à 2015, une étude en urbanisme intitulée DES-RIVES. Il s’agissait, dans un premier temps, d’analyser l’impact de l’environnement urbain sur l’orientation et le comportement de l’être humain. Dans cette perspective, elle a étudié différents contextes dans six pays : la Russie, la Mongolie, la Chine, la Thaïlande, l’Indonésie et l’Inde. « Nous avons voyagé six mois à travers ces pays et avons récolté des données sensorielles liées aux espaces déterminés. » En guise d’exemple, Sandrine évoque son parcours de cinq jours dans le Transmongolien. Comme pour tous les lieux explorés, elle a dimensionné (ou proportionné) les espaces, les a décrits (spatialité, matériaux, type de construction,…) et a cherché à déterminer leur impact sur le comportement humain en étudiant ses propres sensations et celles des autres passagers. À la suite de cette première phase de recherche in situ, elle entame l’analyse des données récoltées en s’appuyant sur d’autres publications scientifiques liées au thème. C’est durant cette phase analytique que l’étude évolue vers le sujet de la résilience de la ville. Fin 2015, le CRESSON (centre de recherche en urbanisme de l’École d’architecture de Grenoble) décide de publier les résultats de son étude La culture comme facteur de résilience de la ville vers le développement durable.

L’étude DES-RIVES a donné envie à Sandrine Damour d’en proposer une interprétation artistique. C’est ainsi qu’elle a créé une série d’œuvres intitulée URBAN TRACKS, dont la dernière raconte la formation du canton de Genève. Ses créations ont pour but « de saisir l’essence de la ville ou l’acte de transformation du territoire le plus important de l’être humain sur la Terre ». La nuit, la ville laisse des traces lumineuses vues du ciel, dont Sandrine Damour a tiré son inspiration et ses œuvres. « URBAN TRACKS, c’est en quelque sorte la matérialisation d’une démarche intellectuelle. »

Il ne s’agit donc pas de regarder ses créations de manière superficielle, mais d’y plonger et d’entamer un voyage multidimensionnel, dans le temps et dans l’espace. « Mon but, c’est que le visiteur comprenne que la forme a du sens », tient à souligner l’artiste.

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« Mon but, c’est que le visiteur comprenne que la forme a du sens. »
« Mon but, c’est que le visiteur comprenne que la forme a du sens. »

Une œuvre avec différents niveaux de lecture

Swiss URBAN TRACKS Geneva a vu le jour au début de 2018, à la suite de la série de pièces uniques intitulée Asia URBAN TRACKS. À l’instar de ses premières œuvres, Sandrine Damour a pris comme support le bois brûlé et a représenté les artères lumineuses de la ville par des perles, soulignant les nœuds de la circulation. Des fils d’or et d’argent représentent les axes structurels de la ville, tandis que le cuivre et les pigments de métal dans la peinture en évoquent les quartiers les plus dynamiques. « Pour créer mes œuvres, j’ai pris des points de repère, par exemple les jonctions de routes. Ce n’est certes pas aussi précis qu’une cartographie, mais mes œuvres restent proches de la réalité. »

Au-delà de cette vision artistique de la ville, Swiss URBAN TRACKS Geneva peut se lire à différents niveaux. « Avant les guerres napoléoniennes, Genève était un territoire mité », raconte Sandrine Damour. Depuis le Moyen Âge, Genève s’est construit par des acquisitions successives, pour finir par être unifié et rattaché à la Suisse, à la suite des Traités de Paris et de Turin. Ces traités ont été conclus entre la France, les puissances européennes et la Suisse : le premier lie Genève à la Suisse et le deuxième clôture les négociations avec, d’une part, le don d’une vingtaine de communes à Genève, d’autre part, l’abandon de Saint-Julien au pied du Salève. « Mon œuvre marque, par incision du support, les frontières des différents territoires qui ont fait l’histoire du canton, tandis que le degré de brûlure du bois représente l’ancienneté de leur rattachement à Genève. »

Par ailleurs, chaque matériau utilisé dans l’œuvre possède une portée symbolique importante. Le bois, par exemple, symbolise la nature sauvage par opposition à la ville qui s’installe sur ces lieux. Pour l’artiste, le feu est synonyme de destruction, mais également de lumière. «   Par sa maîtrise, il est le fondement de la civilisation humaine à travers les millénaires, explique l’auteur. La matière originelle (le bois) qui survit à l’épreuve est transcendée. Elle renaît sous une autre forme, le bois brûlé. » L’inscription des œuvres URBAN TRACKS dans les veines du bois exprime l’engagement de l’artiste en faveur du développement durable.

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Culture