Bons caractères
La création de polices de caractère est un art qui se perd. Et qui raconte aussi des histoires de lettres souvent méconnues.
FONTE
À l’origine les caractères d’imprimerie étaient moulés à partir d’un mélange de plomb et d’antimoine fondus. D’où le mot fonte qui désigne l’ensemble des lettres, d’une même police, de style, de corps et de graisse identiques. À ne pas confondre avec la police d’écriture qui regroupe la totalité des fontes d’une famille. Helvetica est une police. Mais Helvetica romain gras 12 points est une fonte.
TYPOGRAPHE
« Par typographe, je n’entends pas imprimeur, ainsi qu’il est communément admis. Par typographe, j’entends celui, qui, par son propre jugement, par un solide raisonnement intérieur, a la faculté de procéder à des travaux manuels et opérations physiques en relation avec la typographie, de la conception à la fabrication, ou de diriger d’autres hommes à cette fin. » Première définition du mot typographe publiée par Joseph Moxon en 1683 dans la préface de son livre Mechanick exercices or the doctrine of handy-works applied to the art of printing.
ITALIQUE
Comment augmenter le nombre de lettres imprimées sur une seule page ? C’est la question que se pose Alde Manuce. L’imprimeur vénitien diffuse la culture humaniste un peu partout en Europe. En 1501, il s’est lancé dans l’édition de livres à petits prix et en petit format. D’où son problème de place. C’est Francesco Griffo qui va trouver la parade. Le peintre, graveur et tailleur de poinçons de Bologne gagne de l’espace sur chaque ligne en dessinant des caractères penchés vers l’avant. L’italique est donc une invention économique.
SANS
Il traîne partout dans les intitulés des polices. Comic Sans, Gill Sans, Lucida Sans… très bien, mais Sans quoi ? Sans empattement. C’est-à-dire sans ces fioritures qui agrémentent l’extrémité des lettres dans certaines polices de caractères. À la place ? Rien. Pas d’enjolivure. Juste des lettres qui se terminent à angle droit. En anglais, le mot français « sans » est resté accompagné de la mention « Serif » pour qualifier ces lettrages coupés nets (on parle ainsi de « Gill Sans Serif »). Tandis que l’allemand exprime à sa manière ces typographies radicales en les baptisant « Grotesk ».
CALIBRI
Vous écrivez Calibri, vous envoyez vos courriels en Calibri. Si ça se trouve, vous pensez Calibri. Créée en 2002 par le typographe allemand Lucas De Groot – auteur, entre autres choses, du logo Volkswagen – elle apparaît par défaut dans tous les documents créés dans les logiciels de la suite Office de Microsoft. Elle regroupe Excel (où Calibri a remplacé Arial), Word (où elle a poussé Times New Roman dans les orties), PowerPoint et Outlook. Ce qui fait d’elle la police la plus utilisée en Occident. Cela dit, ses jours sont comptés. En 2021, Microsoft annonçait vouloir la mettre en concurrence avec cinq autres familles de caractères. Le 13 juillet 2023, la firme de Redmond détrônait officiellement sa police reine en la remplaçant par Aptos (anciennement connue sous le nom de Bierstadt), créée par Steve Matteson.
ÉRIC GILL
On peut avoir créé les plus belles typographies de l’histoire de l’imprimerie et pâtir de sa réputation. Comme Éric Gill, typographe et tailleur de pierres anglais, auteur, en 1928, de la police qui porte son nom (Gill Sans, notamment utilisée par l’éditeur Penguin Book et British Railways) et de Joanna (du prénom de sa fille cadette). En 1989, une biographie dresse le portrait de cet élève d’Edward Johnston – l’auteur des caractères du métro londonien – décédé en 1940. Et dépeint, à travers la lecture de son journal intime, le fervent catholique en monstre incestueux qui soumettait ses pratiques contre nature jusqu’à ses chiens.
HELVETICA, UNIVERS
De la même manière que le graphisme suisse s’exporte très au-delà de ses frontières, il existe une tradition typographique helvétique que le monde entier nous envie. Un style à la fois élégant et minimaliste, sérieux et précis qui traduit bien la rigueur et la qualité de l’esprit helvète hérité du Bauhaus. Comme Helvetica et Univers, respectivement créées par Max Miedinger et Adrian Frutiger (toutes les deux en 1957), qui figurent toujours – plus de soixante ans après leur création – parmi les caractères préférés de l’internationale graphique.
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