Que faire du patrimoine architectural nazi ?
Le Centre des congrès du NSDAP de Nuremberg fait partie des très rares bâtiments de l’époque nazie classés monuments historiques outre-Rhin. Aujourd’hui en mauvais état, ce haut lieu du national-socialisme doit être rénové.
Une jeune femme fait son jogging le long de la monumentale estrade grise. Plus loin, un couple se promène, main dans la main, et observe la tribune autrefois surmontée d’une gigantesque croix gammée dont il ne reste aujourd’hui aucune trace. Un groupe de touristes arrive alors, rappelant que le lieu est chargé d’histoire. Leur guide les tient néanmoins à distance des gradins. « Ils tombent en ruine, ce n’est pas sûr. »
Le Champ Zeppelin est l’un des sites les mieux conservés de l’ancien Centre des congrès du parti nazi de Nuremberg, imaginé par Albert Speer, l’architecte d’Hitler. « C’était un lieu important dans la culture politique nazie », commente Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme. De 1933 à 1938, le bâtiment a accueilli les congrès annuels du NSDAP, le parti nazi allemand. Des parades étaient organisées sur le Champ Zeppelin.
En accès libre, cette esplanade de 312 mètres de long, classée monument historique depuis 1973, attire environ 300’000 visiteurs par an. Mais aujourd’hui, le site a besoin de rénovations. 100’000 euros sont déjà employés chaque année pour sécuriser l’accès. Récemment, 85 millions d’euros de plus ont été débloqués par l’État fédéral, la Région de Bavière et la Ville de Nuremberg pour consolider les bâtiments, conçus dans des matériaux de mauvaise qualité.
Pèlerinage néo-nazi
Ce qui n’a pas manqué de soulever des débats outre-Rhin. Si personne ne souhaite le démolir, beaucoup demandent que l’on laisse le bâtiment se dégrader naturellement. « Il y a eu pas mal de critiques, à la fois de la part de citoyens, qui considèrent que cet argent pourrait aller ailleurs, et de la part d’universitaires qui craignent que le Centre des congrès ne devienne un lieu de pèlerinage pour les néo-nazis », explique, Martina Christmeier, responsable du site et directrice d’exposition du musée attenant. En février 2019, dix-huit nostalgiques du IIIe Reich se sont déjà rassemblés au Champ Zeppelin et y ont organisé une marche aux flambeaux, comme dans les années 1930.
« Mais justement, continue la jeune femme, pour moi, restaurer les bâtiments et y ajouter des éléments de contexte et des explications pédagogiques permettra d’empêcher ce genre de situation. Rénover ne veut pas dire embellir. » L’un des bâtiments du Centre des congrès a été aménagé en musée dans les années 2000, mais il se trouve à 20 minutes de marche du Champ Zeppelin. S’il y a bien des panneaux expliquant l’histoire du lieu et le contexte de construction, ceux-ci sont peu mis en valeur et difficilement accessibles depuis que la tribune tombe en ruine. L’argent débloqué pour les rénovations devrait donc aussi être utilisé pour améliorer le mémorial et mettre en place des dispositifs d’accueil sur les sites éloignés du musée.
Certains considèrent que l’argent des rénovations pourrait aller ailleurs.
Devoir de mémoire
Sur le Champ Zeppelin, Manuel, 55 ans, approuve de telles mesures. Il est « en partie juif » et plusieurs membres de sa famille ont été déportés. « Il faut faire des travaux pour préserver cet endroit, déclare-t-il, les yeux mouillés. Les raisons pour lesquelles tout cela a été bâti sont horribles. Il est important que l’on s’en souvienne. » Lui-même est venu seul sur les lieux pour cela : réfléchir au passé.
«Nous avons un vrai devoir de mémoire », renchérit Martina Christmeier. La responsable du mémorial souhaite voir « l’Histoire survivre pour que les générations suivantes puissent apprendre des erreur du passé ». Selon elle, les mentalités ont beaucoup changé depuis la fin des années 1970 en Allemagne. « À ce moment-là, on voulait tout faire disparaître pour oublier cette période difficile de l’Histoire. » En 1976, alors que le bâtiment est déjà classé, une partie des tours du Champ Zeppelin sont détruites. « Officiellement, c’était parce qu’elles se dégradaient et étaient dangereuses pour le public. Mais c’était aussi parce qu’il y avait des croix gammées dessus », commente la jeune femme. À l’époque, seul le NPD, le parti néo-nazi, crie au scandale, « mais pour des raisons idéologiques ».
Aujourd’hui, on trouve des adversaires du négationnisme parmi les plus fervents opposants à la destruction de ce patrimoine. « Des personnes totalement opposées à l’idéologie nazie demandent à ce qu’on préserve les lieux, au nom de la mémoire », relate Martina Christmeier. Car, comme le souligne l’historien Johann Chapoutot, cet endroit est un symbole, celui d’une « Allemagne embarrassée par son passé ».
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