L’ONU dénonce le désastre écologique dans le Delta du Niger mais est impuissante
Dans le delta du Niger, il se déverse autant de pétrole chaque année que lors du drame de l’Exxon Valdez, la grande marée noire de 1989. Mais les responsables se rejettent mutuelle-ment la faute, la région est devenue l’environnement le plus pollué de la planète et une zone de non-droit.
« En 2010, quand on regardait les infos et que l’on voyait toutes les actions engagées pour sauver les côtes de Floride après la marée noire, et la consternation mondiale que ça a entraînée… cela nous faisait presque sourire. Ici, on le vit tous les jours, et tout le monde s’en désintéresse. » Ce jeune couple français employé par la compagnie Total rit jaune, face à sa marée noire quotidienne. Ils travaillent à Port Harcourt, la capitale pétrolifère du Nigeria, le premier producteur de brut du continent africain. Sous couvert d’anonymat, ils se disent « dégoûtés » par une pollution à grande échelle, dont leur employeur est lui aussi responsable. « Mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? » lancent-ils. Dans le delta, tout le monde se rejette la responsabilité de ce désastre écologique. En 2010, en Floride, environ 5 millions de barils de pétrole de la compagnie BP se sont déversés dans la mer pendant plus de quatre-vingts jours, sous les caméras du monde entier. Le président Obama s’était lui-même déplacé sur les lieux du désastre, et les victimes ont été indemnisées à hauteur de 21 milliards de dollars par la multinationale britannique BP. Au Nigeria, on estime que la pollution représente l’équivalent d’un Exxon Valdez (la gigantesque marée noire en Alaska de 1989) tous les ans, depuis vingt-cinq ans. Près de 2 mil-lions de mètres cubes de pétrole se seraient ainsi mélangés aux eaux de l’Atlantique depuis le début des années 1990. « Mais les chiffres sont invérifiables, confie Nnimmo Bassey, le plus grand défenseur de l’environnement au Nigeria. On ne peut même pas vérifier les chiffres de l’extraction, alors évaluer les pertes, vous imaginez ! Ce secteur est totalement opaque. Le gouvernement et les compagnies pétrolières travaillent et mentent ensemble. » Grâce à un réseau d’associations basées dans le delta, et à ses contacts dans les vil-lages alentour, Nnimmo Bassey peut mettre à jour son agenda des marées noires. Rien que pour l’année 2014, les dates s’enchaînent et donnent le vertige : 7 février, marée noire à Egberi (Agip, problème d’équipement) ; 17 février (canalisation Agip) ; 7 mars ; 20 mars, trois marées noires ; 25 juin, à Egberi et Biseni (« Agip assure qu’il s’agit d’un sabotage des canalisations », souligne-t-il) ; 7 juillet… Et comme si cette liste ne suffisait pas, l’environnementaliste continue : « En ce moment même, le pétrole s’écoule le long du pipeline Tebidaba-Ogboinbiri. Le 2 juillet aussi, la Terre a saigné le long du pipeline Agip de Kalaba. Mais ça, ce ne sont que les marées noires dans une petite partie du delta, souffle-t-il. Début juillet, le terminal de la plate-forme d’ExxonMobil à Qua Iboe a explosé causant une autre marée. » Et c’est compter sans les autres années, les autres sabotages, les autres fuites, les autres localités… la liste s’étend à l’infini, à l’image des nappes arc-en-ciel qui parsèment les eaux de la mangrove et de l’océan.
Le delta du Niger est la zone la plus polluée au monde.
Les millions de villageois qui habitent le delta ont perdu tous leurs moyens de subsistance face à la pollution. Les eaux du delta n’offrent plus de poissons, les terres ont perdu leur fertilité, et dans certains villages, on doit même se ravitailler en eau potable directement sous les pompes de refroidissement des raffineries. Les nappes phréatiques ont été touchées. « Les compagnies pétrolières rejettent sans cesse la faute sur les raffineries illégales, sur les mercenaires et les vandales, toujours les mêmes excuses ! C’est une manière de ne pas prendre leurs responsabilités », explique Leslie Adogame, chercheur nigérian en environnement, basé à l’Université d’Edimbourg en Ecosse. En effet, des groupes mafieux et lourdement armés ont pris le contrôle de certaines zones du delta, et percent les pipelines pour se servir en or noir. La région la plus riche du pays, en termes de ressources, est aussi l’une des moins développées du pays. Ces groupes armés se servent donc directement sur les canalisations, laissant se déverser des litres de brut dans la nature. On estime que 400 000 barils seraient perdus ainsi chaque jour, un cinquième de la production totale du pays. Selon Total, BP, Agip et les autres multinationales travaillant dans la zone, il est trop dangereux d’aller réparer les canalisations. En réalité, la production est tellement importantes, que les pertes sont négligeables.
« Pour construire une raffinerie illégale, il faut beaucoup de moyens financiers. Ça coûte des millions de dollars, poursuit Leslie Adogame. Les plus importantes sont visibles depuis les airs, ce ne sont pas de simples groupes de villageois. Ils ont besoin du soutien de l’armée, et sûrement de personnes haut placées dans le gouvernement pour continuer à exister. » Cette mafia engendre des milliards de dollars, et s’est armée au fil des ans, créant le chaos dans cette zone où l’argent coule aussi rapidement que les litres de pétrole dans la mangrove. L’armée nigériane a été déployée pour protéger les employés des compagnies pétrolières, victimes d’assassinats ou de kidnappings. Les soldats travaillent désormais comme des milices privées au service des multinationales, et ne protègent ni les villageois ni les défenseurs de l’environnement qui tentent de travailler dans la zone.
En 2011, les Nations unies ont sorti un rapport choc, établissant le delta du Niger comme l’environnement le plus pollué du monde. L’étude révèle que les villageois ne doivent plus boire l’eau des puits, qui contient 900 fois plus de benzène, un hydrocarbure cancérigène, que la limite recommandée par l’Organisation mondiale de la santé. L’ONU désignait le gouvernement nigérian (responsable des équipements et notamment de la prise en charge des pipelines), et Shell comme directement responsables de la pollution de l’Oginiland, l’une des régions du delta. « Ça a fait beaucoup de bruit à l’époque, se souvient le chercheur Adogame. Mais rien n’a été fait ! Rien ! Les lobbies sont trop importants et le secteur pétrolier est le plus corrompu du pays. » En février dernier, le directeur de la Banque centrale a sonné l’alarme en annonçant qu’il manquait 20 milliards de dollars de revenus pétroliers dans les caisses de l’Etat. « L’Etat est corrompu, les compagnies pétrolières en profitent, l’armée les protège. Les seules victimes ce sont les villageois… et la Nature », conclut l’environnementaliste.
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