La bonne raison de se mettre à l’herbe

L’entreprise lausannoise Gramitherm poursuit le développement d’une innovation née à l’EPFL: un matériau bio-sourcé à bilan carbone négatif pour isoler les bâtiments.

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Pour Christian Roggeman, fondateur de Gramitherm, la seule donnée fondamentale qui freine encore l’envol des isolants bio reste le prix.

La tendance est mondiale, mais la réponse sera forcément locale. Très locale même. C’est tout le pari de Gramitherm. Petite start-up dont le siège est à Lausanne mais dont les racines s’étendent jusqu’en Wallonie. Tout est parti d’une innovation mise au point et brevetée par un ingénieur agronome, à Lausanne, mais l’essor économique est maintenant entre les mains d’un propriétaire belge établi en France, Christian Roggeman.

L’entrepreneur, ingénieur formé au commerce, entame ainsi sa nouvelle vie professionnelle en indépendant, après avoir mené une carrière de 25 ans dans la construction, au service de grands groupes. Et il vient de mettre tous ses atouts à nu pour réaliser le tour de table le plus décisif depuis la reprise de Gramitherm, il y a cinq ans: un tour de table supérieur à 2 millions de francs destiné à la mise en place de la première unité de production en propre. Le site devrait être en service cette année et servir les marchés européens à partir du Benelux.

La levée de fonds est engagée depuis fin 2018 et la réponse des investisseurs a été d’emblée très encourageante, en Suisse et à l’international. Il y a de quoi: les biomatériaux constituent sans nul doute la tendance la plus forte du moment dans tout le secteur du bâtiment et l’isolation est à l’épicentre de toutes les préoccupations. La question n’est pas tout à fait neuve et Christian Roggeman n’a pas besoin de forcer le trait pour évangéliser: tout le monde est acquis à la cause, la seule donnée fondamentale qui freine encore l’envol des isolants bio reste le prix.

Plus résistant, plus absorbant, plus durable

Et ne nous cachons pas, le prix au mètre carré d’un tel matériau reste pour l’heure supérieur à la grande concurrence industrielle, laine de verre ou de pierre. La différence est supportable, de l’ordre de 10 à 15% plus cher en prix public, mais le point demeure sensible et lorsque l’on appuie dessus Christian Roggeman se mue en Coubertin: «Citius, altius, fortius.» Ce qui, traduit en langage BTP, donne: plus résistant, plus absorbant, plus durable.

Autrement dit, si le panneau de fibres d’herbe coûte un peu plus à l’achat, il se montre très concurrentiel sur son cycle de vie total. A ce stade, ce n’est déjà plus de la théorie. L’entreprise existe depuis une dizaine d’année et quelques milliers de mètres cubes ont déjà été installés, Gramitherm équipe de nombreux édifices de toutes tailles et fonctions, et le terrain confirme les tests en laboratoire: l’herbe a des vertus que l’industrie du bâtiment ferait bien de ne plus ignorer.

Le catalogue de vente énumère toutes les qualités du produit, parfait isolant contre le froid, mais également contre la chaleur en été, excellent absorbeur phonique également. Il suffit pour cela d’un peu d’herbe dont on extrait les fibres, d’un peu de liants, d’adjuvants minéraux pour assurer la résistance au feu, aux moisissures et aux parasites, et d’un tour de chauffe pour faire d’un carré de gazon un panneau qui se pose de manière tout à fait conventionnelle, comme n’importe quel isolant d’ancienne génération.

L’herbe est aujourd’hui invisible dans le champ de l’isolation flexible. Malgré ses nombreux avantages.

Marché de 400 millions d’euros

Gramitherm se présente ainsi comme une référence crédible à l’ère de la grande décarbonisation du parc immobilier mondial et Christian Roggeman se prépare à la montée en puissance, la prochaine étape étant de dépasser les 100’000 mètres cubes par an dans un horizon de trois ans. Un objectif conséquent puisqu’il s’agit à terme de prendre près de 10% du marché du biothermique en Europe. Un marché estimé entre 350 et 400 millions d’euros, une niche de niche en comparaison des ventes totales d’isolant en Europe, estimées à plus de 7 milliards d’euros, en croissance annuelle de 5 à 7%.

Mais le potentiel est bien là, selon l’entrepreneur: «L’isolant naturel progresse plus vite et enregistre une croissance à deux chiffres dans certains pays.» Et l’accélération est en cours: «Le marché se met en place rapidement. Construire de manière durable avec le meilleur bilan carbone possible est une vraie préoccupation.» Christian Roggeman en veut pour preuve la multiplication des labels et des certifications en Europe et dans le monde.

Pour l’heure, le grand vainqueur de la catégorie bio-sourcé est la laine de bois, qui se développe depuis plusieurs décennies et dont le marché est déjà bien structuré. Avec des opérateurs d’envergure comme Schneider, Gutex ou Pavatex (pionnier fribourgeois de la spécialité repris par le groupe français Soprema).

Gramitherm se trouve pour l’instant encore isolé. Si la paille a trouvé sa place dans les matériaux de construction, l’herbe est invisible dans le champ de l’isolation flexible. L’entreprise lausannoise est aujourd’hui le seul producteur au monde, mais son directeur reste néanmoins persuadé que l’herbe naturelle a «un rôle privilégié à jouer» et que l’avenir est plus vert que le greenway de St Andrews. Gramitherm s’inscrit si parfaitement dans tous les critères de la bio-économie, comme la réponse idéale à toutes les priorités actuelles: performance technique (isolation établie contre la chaleur, l’humidité et la transmission acoustique), bilan carbone négatif, économie circulaire («Un concept global qui n’a de sens que dans un déploiement local», Christian Roggeman dixit).

Le graal du BTP

Il ne faudrait pas beaucoup plus pour parler de graal du BTP, car l’herbe est tout à la fois une ressource opulente dont le cycle de reconstitution est très rapide et un déchet à valoriser, puisqu’il ne s’agit même pas de détourner le fourrage du bétail. Le rendement est par ailleurs assez élevé puisqu’il suffit d’un hectare de gazon pour réaliser 200 mètres cubes de panneaux isolants, de quoi habiller trois maisons familiales. Selon les données récoltées par le fabricant, cet isolant-là sert même la cause planétaire avec son bilan carbone négatif puisque, compte tenu de toute la chaîne de production, un kg de Gramitherm piège 1,405 kg de CO2-éq, et qu’il ne faut que deux mois pour piéger ce gaz carbonique.

Puisqu’il est question de planète et de réchauffement, Christian Roggeman articule encore un argument très hot: «Dans le monde, l’isolation est surtout utilisée contre la chaleur et dans ce domaine l’herbe présente une capacité exceptionnelle, avec un temps de charge de plus de dix heures.» Largement de quoi passer au frais les journées de canicule qui n’épargnent désormais plus aucune latitude.