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Les fantasmes canadiens des démocrates américains

Près d’un Américain sur trois doit choisir entre payer les frais médicaux ou des besoins de base comme la nourriture, le loyer ou le chauffage.

Patrick Déry

Le système de santé américain est le cancre des pays développés. Mais celui de son voisin au nord n’a rien d’un modèle.

On a parfois l’impression que tout le monde aime le Canada. Grand, accueillant, modéré, plus raisonnable que son voisin américain, qui est un peu moins poli et plus enclin à écraser quelques orteils au besoin. Plus « Justin » que « Donald », en somme. Cette idéalisation du Great White North se reflète dans la perception qu’ont certains Américains de son système de santé, les démocrates en particulier. L’automne dernier, à l’occasion d’un passage à Montréal, Bill et Hillary Clinton ont salué le fait qu’au Canada, l’accès à la santé « soit un droit, pas un privilège ». Bernie Sanders, ex-candidat à l’investiture démocrate, lui, a déjà vanté les « choses extraordinaires » qu’accomplit le système canadien après avoir visité des hôpitaux de Toronto. Le réalisateur engagé Michael Moore, un autre porte-étendard de la gauche américaine, s’était extasié il y a quelques années dans son documentaire Sicko devant la simplicité d’accès, l’accueil, la gratuité totale et l’absence d’attente dans les cliniques et les hôpitaux canadiens. Il ne manquait que les licornes et les bisounours.
Il est difficile de blâmer les Américains pour leurs lunettes un peu trop roses. Les États-Unis sont en effet un pays admirable à bien des égards, mais pas pour la façon dont ils traitent certains de leurs malades. La première puissance économique mondiale est le seul pays riche à ne pas offrir de couverture universelle à ses citoyens. Quelque 28 millions d’Américains n’ont aucune assurance, et celle de millions d’autres s’avérera insuffisante le jour où ils en auront besoin.

 La médecine de corridor dans des hôpitaux engorgés est tout aussi canadienne que les montagnes Rocheuses, le castor ou le sirop d’érable. 

Patrick Déry

Le parent pauvre des pays riches

Le Commonwealth Fund, un organisme centenaire basé à New York, sonde régulièrement les patients et le personnel soignant de 11 pays riches afin de comparer les performances de leurs systèmes de santé.
Pour le rendement global, l’Oncle Sam arrive dernier. Le système de santé américain est le moins accessible, le moins équitable et celui qui donne les pires résultats pour les patients. La population du pays est celle qui a la santé la moins bonne du groupe et la mortalité infantile la plus élevée. Les Américains sont aussi – et de loin – les plus susceptibles de mourir d’une cause liée aux soins qu’ils ont reçus1.
Selon une autre étude, jusqu’à 40% des Américains auraient sauté une visite chez le médecin ou un traitement en raison des coûts au cours de la dernière année, et près d’un sur trois a eu à choisir entre payer les frais médicaux ou des besoins de base comme la nourriture, le loyer ou le chauffage2. Tout ça au pays qui a donné au monde le plus grand nombre de Nobel de médecine. De plus, les États-Unis dépensent en soins de santé deux fois plus par habitant que la plupart des pays comparables (la Suisse est l’autre exception en matière de coûts, quoiqu’elle soit un distant deuxième)3.

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Quelles licornes ?

Le Canada n’est pas pour autant le paradis des patients. Dans le même classement de 11 pays riches, le Canada arrive neuvième globalement, et avant-dernier pour l’accès aux soins.
C’est que la « gratuité » apparente du système canadien, dont les soins médicaux et hospitaliers sont financés directement par les impôts, a un revers moins plaisant. Puisqu’il n’y a aucune forme de tarification ou de copaiement, on limite l’accès autrement, et le terme « patient » rappelle à la personne soignée le sens premier du mot.
L’attente est ainsi une de ces « choses extraordinaires » que le système de santé canadien produit, pour reprendre les paroles du sénateur Sanders. Dans le rapport du Commonwealth Fund, le Canada est ainsi bon dernier pour chacun des indicateurs relatifs aux délais : dernier pour la proportion de patients ayant pu voir un médecin le jour même ou le lendemain, dernier pour le temps d’accès à un spécialiste, dernier pour l’attente dans le but de subir une chirurgie non urgente, et dernier pour l’attente aux urgences.
Il n’est pas rare que des patients poireautent dix, vingt ou même plus de trente heures dans un département d’« urgence », et la médecine de corridor (hallway medicine) dans des hôpitaux engorgés est tout aussi canadienne que les montagnes Rocheuses, le castor ou le sirop d’érable4.
Plusieurs raisons expliquent cet état de fait, dont le retard quant à l’utilisation des nouvelles technologies, mais la principale est un encadrement bureaucratique, législatif et politique qui a sacralisé des façons de faire désuètes et qui décourage l’innovation. Par exemple, pour être bien certain que les gestionnaires médicaux ne soient pas incités à trouver des façons de soigner plus de patients ou à les soigner plus vite, le financement des hôpitaux du pays est indépendant de leur niveau d’activité : un hôpital qui soigne plus de patients voit ainsi ses dépenses augmenter. Mais pas ses revenus !

Regards vers l’Europe

La principale erreur des systèmes américain et canadien est de croire qu’il n’en existe aucun autre. Ils voient chez leur voisin le modèle à suivre ou à adopter, mais oublient de regarder vers l’Europe.
Les pays du Vieux Continent misent généralement sur une couverture universelle pour leurs citoyens, d’une part, et sur une pluralité de fournisseurs ou sinon sur des mécanismes favo-risant un minimum de transparence et de choix pour le patient, d’autre part.
Les systèmes de santé sont des bêtes immensément complexes, et aucun d’eux n’est parfait.

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