Les Britanniques serrent la vis

Jusqu’à récemment, il n’y avait guère que la presse de gauche et une poignée de militants pour dénoncer les paradis fiscaux et leur impact destructeur sur les finances du Royaume-Uni. Mais les temps changent. En juin dernier, le Times a frappé un grand coup. Ce journal de droite a révélé qu’un des humoristes les plus populaires du pays échappait à l’impôt sur le revenu grâce à une société enregistrée sur l’île Anglo-Normande de Jersey. Jimmy Carr faisait verser les revenus générés par ses spectacles, la vente de ses DVD, etc., à un trust baptisé K2 qui lui reversait l’argent sous forme de prêt.

En d’autres temps, ces révélations auraient été sans conséquence. Jimmy Carr n’a d’ail-leurs pas enfreint la loi – le dispositif K2 avait reçu l’approbation des services fiscaux de Sa Majesté (HMRC). Mais les Britanniques subissent depuis plus d’un an une cure d’austérité draconienne et les privilèges que s’octroient les riches et les puissants sont de moins en moins tolérés. « Depuis 2010 et la campagne menée par l’organisation UK Uncut contre les grandes entreprises coupables d’évasion fiscale, le soutien dans la population pour la lutte contre ces pratiques s’est élargi », confirme John Christensen à la tête du Tax Justice Network.

Résultat : en quelques heures, le scoop du Times a été repris par tous les médias et s’est transformé en un scandale retentissant. Au point que le Premier ministre David Cameron a dénoncé les agissements de Jimmy Carr comme étant « moralement répréhensibles ». Le comédien, d’abord sur la défensive, a fini par se confondre en excuses. Et, dans la foulée, le fisc a annoncé qu’une enquête était en cours sur la fameuse société fiduciaire K2 domiciliée à Jersey.

En d’autres termes, Jersey compte une entreprise pour trois habitants.

Jersey, « l’un des premiers centres financiers mondiaux »

Aujourd’hui, à Jersey, plus personne ne souhaite commenter l’affaire Carr. Mais il est indéniable que les réactions outrées de Londres aux révélations du Times ont beaucoup irrité les responsables de l’île qui ne dépend du Royaume-Uni qu’en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère. Les propos réprobateurs de David Cameron et l’intérêt croissant de Her Majesty’s Revenue & Customs pour l’évasion fiscale déplaisent.

D’après des chiffres officiels, trente-deux mille entreprises seraient domiciliées sur cette dépendance de la couronne britannique. En d’autres termes, Jersey compte une entreprise pour trois habitants. Pourtant, l’île Anglo-Normande ne se considère pas comme un paradis fiscal, mais comme « l’un des premiers centres financiers mondiaux ». Et, vu de Saint-Hélier, les remontrances de Londres sont jugées hypocrites. Dans un commentaire mis en ligne le 25 juin, le directeur général de Jersey Finance, organisme chargé de faire la promotion des services financiers de l’île, rap-pelle que « la création, la promotion et l’approbation des dispositifs d’évasion fiscale dont il a été récemment question dans les médias se sont passées au Royaume-Uni ». Traduction : Londres n’a qu’à faire le ménage devant sa porte.

Les tensions entre Jersey et le Royaume-Uni ont atteint le summum le 27 juin. Le ministre-adjoint de l’île, Philip Bailhache, a alors déclaré que Jersey était « prête à devenir indépendante », après cinq années de relations difficiles. Vingt-quatre heures plus tard, cette déclaration était modérée par le chef du gouvernement, reconnaissant que la stabilité politique et juridique octroyée par le Royaume-Uni était très importante pour l’industrie financière.

Il n’empêche, Jersey reste sur ses gardes. L’an dernier, l’île a été contrainte par la justice britannique de mettre fin à un dispositif qui permettait à de grandes enseignes (Amazon, Tesco, HMV, etc.) domiciliées sur l’île d’échapper à la TVA sur des biens vendus au Royaume-Uni. « Le Trésor britannique a agi à la demande de Bruxelles, précise Christensen, pionnier de la lutte contre l’évasion fiscale et natif de Jersey. Les autorités de Jersey n’ont pas peur de Londres. C’est la Commission européenne qui les inquiète. »

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