Le nettoyage du Gange : travaux d’Hercule

Ce sera LE projet des années à venir dans le domaine de la protection de l’environnement en Inde – et l’un des plus ambitieux de la planète : le nettoyage du Gange, fleuve sacré pour les hindous, ressource vitale pour l’agriculture, l’industrie et la vie quotidienne de centaines de millions de personnes, et l’un des fleuves les plus pollués du monde. Car le fleuve sacré dont dépend tout le nord de l’Inde est devenu un égout à ciel ouvert où se déversent les eaux usées de centaines de millions d’habitants. Le nouveau premier ministre de l’Inde s’y est engagé, mais personne ne sait comment le défi pourra être relevé.

Entrée en politique

Il a beaucoup été question du Gange pendant les élections générales qui se sont déroulées au printemps. Narendra Modi, qui a triomphé à la tête du parti nationaliste hindou BJP, s’est fait élire à Varanasi (Bénarès), la ville la plus sacrée de l’hindouisme, édifiée sur les bords du fleuve. Et parmi ses promesses figure celle d’assurer «l a propreté, la pureté et le flot ininterrompu » du Gange, fleuve qui est « en train de mourir ». Cet engagement se situe à l’intersection des deux facettes du nouveau leader indien : d’un côté, Modi est un champion du développement économique et de la modernisation du pays, ce qui inclut la protection d’un environnement très dégradé ; de l’autre, il appartient à une formation qui représente l’identité hindoue (celle qui s’incarne dans la religion hindoue), pour qui le Gange est une déesse de premier plan. Le nouvel homme fort du pays va donc vouloir effectivement traiter le problème. Reste à savoir comment.
La crise environnementale que connaît le Gange est à la mesure du fleuve : colossale. Long de 2 500 km, celui-ci traverse tout le nord de l’Inde. Avec ses affluents, son bassin représente un quart de la surface du pays et abrite plus de 400 millions d’habitants. Sur ses rives s’échelonnent une trentaine de villes de plus de 100 000 habitants, à qui il fournit l’eau potable et celle nécessaire aux activités industrielles. Dans les zones rurales, le fleuve est mis à contribution pour irriguer l’agriculture.

Le fleuve sacré dont dépend tout le nord de l’Inde est devenu un égout à ciel ouvert.

L’or bleu

Du coup, le Gange est soumis à d’extraordinaires pressions tout au long de son cours. Dans l’Himalaya, les barrages hydroélectriques se succèdent avec des prélèvements massifs d’eau envoyés dans des canalisations. Viennent ensuite, dans les plaines, les ponctions liées à l’irrigation agricole. Les villes riveraines contribuent au désastre. D’une part, parce que les industries, souvent très petites, n’ont pas d’installations de traite-ment : la seule ville de Kanpur compte 420 tanneries qui rejettent leurs eaux lourdement polluées directement dans le fleuve. D’autre part ,parce que les villes elles-mêmes sont peu équipées. On estime qu’à Varanasi 84% du 1,2 million d’habitants ne sont pas connectés à un égout : le Gange en tient lieu… Selon le Ministère de l’environnement, 55% des eaux usées des villes riveraines ne sont pas traités.
Résultat : à certains endroits, la teneur des eaux en coliformes, qui dénotent la présence de matières fécales, peut dépasser 70 fois la norme autorisée. Globalement, les experts estiment que la totalité de l’eau d’origine du Gange est prélevée durant la première moitié de son parcours ; ce qui coule par la suite provient essentiellement de rejets d’eaux usées et de l’apport de quelques affluents.

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Nettoyage du Gange. Pourtant, depuis trente ans, des programmes d'assainissement du Gange existent.

Un chantier colossal

La tâche pour nettoyer le fleuve est en effet phénoménale. Elle implique de réduire les prélèvements, de réorganiser l’irrigation, d’imposer des normes strictes à des milliers d’usines, d’équiper des millions d’habitations de réseaux de collecte et de traitement, etc. Et ce n’est pas comme si personne n’avait essayé. Cela fait trente ans que des programmes d’assainissement du Gange sont lancés. En 2009, l’Etat central a créé un organisme chargé de coordonner tous les problèmes, la National Ganga River Basin Authority. La Banque mondiale a apporté un milliard de dollars pour réaliser des études et des projets pilotes de réseaux d’assainissement, d’usines de traitement, etc. Impact à ce jour : zéro ou presque, le Gange est plus pollué que jamais. Il faudra sans doute de nombreuses réélections à M. Modi pour commencer à enrayer la détérioration du fleuve sacré.

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