L’énergie enfouie sous nos bâtiments
Les pieux de fondation, les dalles ou parois indispensables aux constructions peuvent servir comme supports d’une installation géothermique. Cette technologie prometteuse est de plus en plus répandue.
Professeur et directeur du Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, Lyesse Laloui a présenté en novembre dernier au Cercle littéraire de Lausanne une vraie révolution : les géostructures énergétiques. « La consommation énergétique des bâtiments représente aujourd’hui environ 40% de la consommation d’énergie globale au niveau mondial. En fonction des pays, 60 à 80% de cette énergie est utilisée pour chauffer et refroidir nos locaux, ainsi que pour produire de l’eau chaude, précise-t-il d’emblée. Pour ce faire, nous recourons essentiellement à des énergies fossiles et émettrices d’émissions de gaz à effet de serre. » Dans le contexte de la transition énergétique engagée par la Suisse, les géostructures énergétiques représentent une piste intéressante : elles permettent une réduction importante des émissions de CO2 et leur investissement est amorti en quelques années seulement. Pour donner un ordre de grandeur, un tunnel de 500 mètres de long peut couvrir les besoins en chauffage et refroidissement de 200 appartements ! Les géostructures sont parfois capables de produire davantage d’énergie qu’elles n’en nécessitent, comme certaines gares souterraines qui fournissent en énergie les immeubles voisins. Selon le professeur de l’EPFL, toute nouvelle construction devrait être équipée de ces ouvrages, même si on ne prévoit pas de les utiliser immédiatement, car l’énergie puisée dans le sol est gratuite et renouvelable.
L’innovation se cache sous la surface
Les géostructures énergétiques (ou thermiques) sont des composantes du bâtiment – pieux, fondations, dalles, murs de soutènement, parkings, tunnels – qui sont en contact direct avec la terre et qui peuvent servir de conducteurs de chaleur. L’avantage de cette technologie est qu’elle associe le rôle structurel des ouvrages à l’approvisionnement énergétique, en utilisant le principe de la géothermie peu profonde. En hiver, la chaleur est extraite du sol afin de satisfaire les besoins en chauffage et en été, la chaleur est injectée dans le sol afin d’assurer les besoins en refroidissement. Ces équipements peuvent aussi servir à dégivrer le bitume des routes et des pistes d’aéroport, ou à stocker de l’énergie fournie par des panneaux solaires. Car au-delà de 5 mètres de profondeur, la température du sol reste constante tout au long de l’année (13° à Lausanne).
Il suffit de munir les indispensables structures de la construction de tubes dans lesquels un fluide circule, en général de l’eau, de manière à pouvoir échanger de la chaleur avec le terrain. Dès leur construction, les pieux en béton sont par exemple équipés de tubes en plastique, ne générant qu’un surcoût très faible. En résumé, on ne fait qu’ajouter de la valeur à des éléments qui sont de toute façon réalisés. Cette technologie peut couvrir jusqu’à 70% des besoins énergétiques des bâtiments. Son efficacité est encore accrue si une pompe à chaleur est couplée aux pieux. Elle présente plusieurs avantages par rapport aux sondes géothermiques classiques : pas de coûts liés à des forages, ni de perte de surface et de terrain à bâtir, et surtout, elle permet de fournir le chaud et le froid. Comme les géostructures énergétiques constituent une nouvelle technologie en ingénierie, il est essentiel d’approfondir les connaissances scientifiques à leur sujet et de définir les procédures à mettre en œuvre. Depuis une vingtaine d’années, l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) s’attelle à cette mission, tout en s’engageant à diffuser le procédé en Suisse et à l’étranger. Lyesse Laloui préconise une meilleure intégration des corps de métier, notamment ceux en charge du génie civil et de l’énergie, couplée avec une forte volonté politique.
Cette technologie peut couvrir jusqu’à 70% des besoins énergétiques des bâtiments.
Déjà présent à Carouge
Les géostructures énergétiques connaissent un réel essor dans de nombreux pays, comme en témoignent des réalisations variées : Lainzer Tunnel à Vienne, Main Tower à Francfort, One New Change Building à Londres, Shanghai Tower en Chine, etc. Bien qu’elle soit pionnière en matière de recherche, la Suisse reste à la traîne avec une cinquantaine de projets seulement. Le plus connu d’entre eux est le Dock Midfield (Terminal E) de l’aéroport de Zurich-Kloten, mis en service en 2003. Cet édifice repose sur un terrain argileux-limoneux et ses fondations sont constituées de 300 pieux énergétiques, fournissant 85% des besoins en chaleur annuel. Le refroidissement du bâtiment est également réalisé à l’aide des pieux échangeurs. La station CEVA Carouge-Bachet à Genève est équipée en géostructures énergétiques (murs et dalles) et des études sont en cours pour la nouvelle ligne de métro M3 à Lausanne. « En puisant les ressources énergétiques sur les lieux mêmes des constructions, cette technologie contribue à rendre nos bâtiments neutres en carbone, voire à énergie positive », conclut avec enthousiasme Lyesse Laloui. De quoi réchauffer les cœurs.