Le mécénat artistique français à la conquête de nouveaux territoires urbains

En France, la culture a la réputation d’être la chasse gardée du domaine public, instrument du pouvoir étatique par excellence, comme en témoignent les désirs présidentiels et leurs institutions culturelles (Centre Pompidou, Quai Branly, …). La commande publique est le fer de lance de la politique culturelle aux accents jacobins et, depuis les années 1950, l’outil privilégié de la démocratisation culturelle avec le fameux 1 % artistique institué par une loi de 1951 consistant à dédier 1 % du coût des travaux de construction ou de réhabilitation d’un bâtiment public à l’achat d’une oeuvre d’un artiste vivant. Un moyen d’amener l’art dans les lieux de vie, de le rendre visible au citoyen, comme à Vitry-sur- Seine, pionnière en la matière, où chaque opération immobilière, possible grâce à une alchimie public-privé, permet de mettre en avant une création dans l’espace public. Les écoles et les ronds-points se sont ainsi vu hérisser d’oeuvres d’art. L’art contemporain a envahi les monuments historiques, les jardins, les lignes de tramways (Paris, Nice, Bordeaux, …), pour le meilleur et pour le pire, créant souvent la polémique. Depuis peu, l’administration se tourne vers le financement privé car l’enjeu est de taille. Des villes comme Bordeaux, Nantes ou Marseille deviennent des métropoles régionales avec la loi sur la redéfinition géographique des régions de juillet 2015. Les entreprises, elles, y voient leur intérêt en termes de visibilité et de nouvel acteur culturel urbain, facilité par la loi sur le mécénat culturel de 2003 et son dispositif attractif d’incitation fiscale. Le privé peut enfin venir au secours du culturel et pallier le manque de deniers publics. Un particulier mécène bénéficie d’une réduction d’impôt de 66 % plafonnée à 20 % de son revenu imposable. Une entreprise mécène bénéficie d’une réduction d’impôt de 60 % sur le montant de son impôt dans la limite d’un plafond de 0,5 % du chiffre d’affaires. Dans les deux cas, il y a une possibilité de report de l’excédent sur les cinq ans suivants.

L’espace public serait donc bien le meilleur endroit où peut se réaliser la magie de la démocratisation culturelle. »

Le mécénat urbain

Aujourd’hui, on peut parler de mécénat urbain ou territorial des entreprises encouragé par l’Etat et les « missions mécénat » des collectivités locales. Les parcours d’art ou la valorisation du patrimoine, à travers les mappings vidéo par exemple, bénéficient de plus en plus d’aides privées. Une aubaine et une tendance qui pourraient bien concurrencer le mécénat muséal historique. 23 % des entreprises mécènes choisissent le secteur culturel et la majorité sont des PME et des TPE qui agissent au niveau local. L’espace public serait donc bien le meilleur endroit où peut se réaliser la magie de la démocratisation culturelle. La fondation d’entreprise et le fonds de dotation (outil de défiscalisation créé par une loi de 2008) sont les grands gagnants d’une stratégie philanthropique axée sur le territoire. Bordeaux est la première ville à créer son fonds de dotation. Des fondations d’entreprise (« Mécène et Loire » ou « Mécènes Catalogne ») soutiennent des projets culturels et patrimoniaux en complément de l’action publique. De même, sur l’aménagement du territoire du futur Grand Paris, le fonds de dotation de la société Emerige, dans le cadre de son programme immobilier des Batignolles, a fait appel aux frères Bouroullec pour la création du « Kiosque », concept d’espace de vente qui pourra être réutilisé pour des projets sociaux et culturels dans la ville. Emerige apporte aussi son mécénat à la commande passée à l’artiste Tobias Rehberger pour la création d’une oeuvre d’art pérenne destinée à la nouvelle station de métro Pont Cardinet au nord de Paris. Investissements privés et action publique tendent de plus en plus à conjuguer leurs efforts. Et le mécénat sous des formes de plus en plus variées reste un des outils phare de l’entreprise pour embellir l’espace public. ■