«Le Cyclop» de Tinguely fait peau neuve
L'œuvre monumentale de Jean Tinguely va faire l'objet d'un programme de restauration pour remplacer les 400 m2 de miroirs recouvrant la sculpture.
Au cœur de Milly-la-Forêt, près de Paris, se cache un étrange monstre: Le Cyclop. Une sculpture monumentale de métal et de béton (22 mètres de haut, 300 tonnes) appuyés sur quatre chênes, qui s’apparente à une tête sans corps, avec un œil unique qui scrute l’environnement. Recouvert de milliers d’éclats de miroirs qui réfléchissent les mouvements des arbres et des nuages, Le Cyclop entretient un dialogue permanent avec la nature. Imaginée par Jean Tinguely au début des années 1960, l’œuvre a été réalisée de 1969 à 1994 par l’artiste suisse et sa femme Niki de Saint Phalle, avec l’aide de leurs amis artistes, dans des conditions rocambolesques. Construit sans autorisation, Le Cyclop a été édifié avec les maigres fonds de l’artiste, essentiellement à l’aide de matériaux recyclés. Vingt ans plus tard, les dégâts du temps rendent sa restauration nécessaire. Surdimensionnée, l’ossature de l’œuvre reste saine. Il n’en va pas de même de la face du Cyclop, modelé par des milliers de petits miroirs de forme irrégulière qu’il faut maintenant changer. « Le Cyclop a été construit de façon empirique, rappelle Aude Bodet, cheffe du département des collections du Centre national des arts plastiques (CNAP). Le recours à des techniques et des matériaux non éprouvés a d’emblée fragilisé l’œuvre.
Une rénovation coûteuse et délicate
Coûteuse – on parle de plus de 700000 euros (CHF 850000.-) – la restauration de ces miroirs devrait débuter au printemps 2015 sous la direction du CNAP. L’artiste, disparu en 1991, avait fait don de son œuvre à l’Etat français en 1987. Le Cyclop n’était alors pas encore achevé, mais l’artiste ne pouvait faire face au vandalisme et à la curiosité suscitée par sa construction. En préalable au chantier de restauration qui devrait durer au moins un an, le CNAP a mené plusieurs études. Pour commencer, un relevé tridimensionnel par scanner laser a été réalisé pour conserver la trace exacte de la découpe des miroirs dont la taille n’,excède pas 10 cm x 8 cm. Ensuite, des prélèvements ont été réalisés et des travaux de recherche menés pour dénicher des miroirs de remplacement parmi les mieux adaptés, ainsi que des produits d’adhérence et de jointure plus performants. Chaque matériau envisagé a ensuite subi des tests de vieillissement. «Au final, la partie reproduisant exactement le dessin original s’avère la moins naturelle. Comme reproduire à l’identique s’avère très complexe et très onéreux, chaque zone de la sculpture fera sans doute l’objet d’une interprétation, en respectant la volonté de Niki de Saint Phalle qu’aucun miroir ne soit découpé en angle droit. Nous attendons le feu vert des ayants droit et le résultat des études préalables pour lancer l’appel d’offres du chantier à l’automne», confie Aude Bodet. Qui espère financer plus d’un tiers de ce travail de rénovation par le mécénat et l’appel aux dons.
Le Cyclop restera accessible durant tout le chantier. Depuis 1994, la gestion et l’ouverture au public de la sculpture sont assurées par une association. Celle-ci poursuit depuis 2012 la démarche de Jean Tinguely en accueillant des artistes en résidence et en programmant diverses performances artistiques mêlant musiques et arts visuels. Car en invitant ses prestigieux amis (César, Armand, Eva Aeppli, Philippe Bouveret, Bernhard Luginbühl, Seppi lmhof, Pierre-Marie Lejeune … ) à participer à la construction de son chef-d’œuvre, Jean Tinguely a « nourri sa bête» et permis la naissance d’un mini-musée. Le visiteur est ainsi appelé à pénétrer à l’intérieur du Cyclop dans la structure labyrinthique renfermant une trentaine d’œuvres et à actionner des machines, déclenchant des sons, animant les sculptures et les peintures. A la fois sculpture, pièce d’architecture, instrument de musique et musée, Le Cyclop est l’un des rares exemples d’• art total• cher aux Nouveaux réalistes, dont se revendiquent Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle. Né en 1960, ce mouvement prône le détournement des objets du quotidien par l’art. Cette richesse esthétique offre au spectateur du Cyclop une vision de l’histoire et de la diversité de l’art contemporain.