Le Canada, tremplin vers les paradis offshore

Sur la scène internationale, le Canada fait figure de bon élève en matière de lutte contre l’évasion fiscale.

Avec des conventions signées avec quatre-vingt-sept pays, dont huit conclues avec des paradis fiscaux notoires courus par les fraudeurs et les entreprises cherchant à se mettre à l’abri du fisc, le pays montre patte blanche. Or, si le Canada se range vingt-quatrième au monde sur l’échelle de l’index du secret financier – un score tout à fait enviable, établi par le Réseau international pour la justice fiscale –, son bulletin de premier de classe dissimule toutefois une tout autre réalité.

Depuis l’époque de la Nouvelle-France, le Canada a développé des relations privilégiées avec plusieurs îles des Antilles, aujourd’hui pointées du doigt par le G20 et plusieurs grands argentiers de la planète. Au fil des ans, les réseaux bancaires du Canada et de plusieurs pays caribéens se sont petit à petit imbriqués, pour nouer des relations que d’aucuns qualifient aujourd’hui de liaisons dangereuses. Pour toutes ces raisons historiques, les banques canadiennes prolifèrent depuis près de deux siècles sous le soleil des tropiques. Les filiales arborant l’unifolié occupent d’ailleurs des avenues complètes aux Bahamas et dans les îles Caïmans. L’osmose a été poussée un cran plus loin, en décembre 2011, quand la Bourse de Toronto a fait main basse, à titre d’actionnaire principal, sur la Bourse des Bermudes.

Dès 1980, une entente de non-divulgation des renseignements bancaires conclue entre le Canada et la Barbade a propulsé la création de fiducies et le développement de sociétés canadiennes dans les Caraïbes. « Depuis, tout citoyen ou entreprise canadienne y ayant des actifs peut transférer des sommes au Canada sans payer d’impôts », explique Alain Deneault, auteur de Offshore, Paradis fiscaux et souveraineté criminelle et chercheur en mondialisation, citoyenneté et démocratie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

La Bourse de Toronto a fait main basse, à titre d’actionnaire principal, sur la Bourse des Bermudes.

Cette présence canadienne dans la cour des mauvais joueurs n’est d’ailleurs pas très appréciée de l’opinion publique. Mais en dépit des pressions récentes exercées par l’OCDE pour resserrer l’étau sur les Etats de complaisance, le mouvement d’« offshorisation » de compagnies basées au Canada semble plutôt avoir le vent dans les voiles. En 2011, des traités d’« échanges d’informations » ont été ratifiés avec huit pays à taux de taxation quasi nul dont les Bermudes, les Bahamas et les îles Turquoises (Turks-et-Caïcos). Or, ces accords destinés a priori à percer le mur du secret ont été signés en échange de garanties permettant le rapatriement, en toute franchise d’impôt, des avoirs canadiens détenus sous ces juridictions. En façade, le Canada fait mine de surveiller les garnements de la finance, mais légalise un processus d’évitement fiscal déjà en cours, soutient le chercheur de l’UQAM.

Les sommes ainsi détournées du fisc vers les paradis fiscaux priveraient l’Agence canadienne du revenu de quelque 147 milliards de dollars, selon Statistique Canada. Et cette fuite massive de capitaux semble vouloir s’accélérer depuis l’élection, en 2006, du gouvernement conservateur dirigé par Stephen Harper. Ce gouvernement de droite a multiplié depuis son arrivée au pouvoir les politiques visant notamment à faire du Canada un éden réglementaire pour les compagnies minières. Généreux crédits d’impôts, bourse hautement spéculative sur les produits miniers et, en sus, tremplin doré offert vers une dizaine de paradis offshore: pas étonnant que les deux tiers des compagnies minières soient aujourd’hui basées au Canada !

En fait, le Canada s’érige aujourd’hui comme la courroie de transmission légale et privilégiée de nombreuses industries vers des paradis à fiscalité complaisante. Faut-il s’étonner que certains conseillers spécialisés dans la création de sociétés offshore placent la confédération canadienne parmi les juridictions de prédilection pour leurs clients ? « Le Canada n’est peut-être pas un pays offshore, mais il est devenu une des plaques tournantes des transferts de capitaux vers plusieurs paradis fiscaux », assure Alain Deneault.

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