Focus : lanceurs d’alerte

Ils sont médecin, avocat ou simple citoyen. Moins connus que Julian Assange ou Edward Snowden, ils se battent aussi pour un monde plus juste, parfois jusqu’à la mort.

Alexeï Navalny (1976)

Le 20 août 2020, Alexeï Navalny est admis à l’hôpital d’Omsk, en Sibérie, dans un état grave. Ses proches supputent un empoisonnement criminel. Les médecins allemands vont le confirmer. Il faut dire que ce n’est pas la première fois que cet avocat moscovite de 44 ans qui dénonce régulièrement la corruption dans son pays est attaqué. En 2017, le principal opposant au président Vladimir Poutine avait eu les yeux aspergés par un produit désinfectant. Il avait été soigné par Anastasia Vasilieva (lire son interview en page 25). Choquée, l’ophtalmologue avait alors décidé de participer à la force d’opposition au gouvernement russe. Deux ans plus tard, Alexeï Navalny accusera le régime de l’avoir empoisonné alors qu’il se trouvait en détention.

Raed Fares (1972 – 2018)

Raed Fares est Syrien et agent immobilier. À partir du Printemps arabe de 2011, ce père tranquille de trois enfants va se commuer en révolutionnaire pacifiste. Dans sa ville de Kafranbel, il participe au rassemblement contre le gouvernement de Bachar el-Assad. Ses pancartes et dessins font le tour des réseaux sociaux. Le régime se durcit, mais la communauté internationale ne fait rien. Raed Fares dénonce cette passivité sur les ondes de Radio Fresh qu’il a fondée en 2013 avec des fonds américains. Après avoir échappé à plusieurs attentats, Raed Fares, qui s’oppose également aux djihadistes, est assassiné le 23 novembre 2018 au volant de sa voiture. Il venait de quitter la mosquée où il s’était rendu pour la prière du vendredi.

Li Wenliang (1985 – 2020)

Il était ophtalmologue à l’hôpital central de Wuhan. Li Wenliang, 35 ans, décédait en février 2020 des suites de sa contamination au Covid-19. Il avait été l’un des premiers à alerter les autorités chinoises du danger viral. Pour cela, il avait été arrêté le 30 décembre 2019 avec sept autres médecins. Le gouvernement les avait alors accusés de diffuser des rumeurs, avant de les réhabiliter un mois plus tard. Le 28 janvier, la Cour suprême de Pékin admettait que Li Wenliang et ses collègues auraient dû être écoutés. Pour le médecin, il était trop tard. À sa mort, Li Wenliang laissait une veuve et deux enfants.

 

Elle a fait tomber Harvey Weinstein. Ils ont fait plier l’industrie du tabac ou contribué à faire cesser la guerre du Vietnam. Miniportraits de trois grands destins.

Ashley Judd (1968)

Dans une interview d’octobre 2015 qu’elle accorde au magazine Vanity Fair, l’actrice américaine Ashley Judd raconte avoir été sexuellement abusée par un magnat d’Hollywood. Elle révélera plus tard qu’il s’agit d’Harvey Weinstein. Elle est la première d’une longue liste de 80 femmes à ainsi dénoncer le comportement pervers du producteur, certaines l’accusant de viol. L’affaire révélée par l’enquête du journaliste Ronan Farrow publiée dans The New Yorker va déclencher un soulèvement féministe mondial soutenu par le mouvement #MeToo. Le procès d’Harvey Weinstein s’ouvre en 2018. À son issue, il est condamné à 23 ans de prison.

Jeffrey Wigand (1942)

Il a réussi à faire plier la toute puissante industrie du tabac. Ancien vice-président de la recherche et du développement du fabricant de cigarettes américain Brown & Williamson, Jeffrey Wigand va prouver que les cigarettiers continuent d’utiliser un additif qu’ils savent hautement cancérigène. Son témoignage sera diffusé par la chaîne de télévision CBS. Le procès qui s’ensuivra condamnera l’industrie du tabac à verser une pénalité record de 246 milliards de dollars. En 1999, l’histoire de Jeffrey Wigand est devenue un film, Révélations, du réalisateur Michael Mann.

Daniel Ellsberg (1971)

On le considère comme le tout premier lanceur d’alerte du monde. À partir de 1971, l’ancien analyste militaire Daniel Ellsberg a fourni au New York Times puis au Washington Post les extraits d’un rapport gouvernemental secret de 7000 pages sur la guerre du Vietnam. Ce que l’on appellera plus tard les Pentagon Papers démontre que le gouvernement américain a délibérément étendu et intensifié le conflit alors que son président, Lyndon Johnson, assurait à l’opinion publique qu’il ne voulait pas s’y impliquer davantage. La publication du rapport a renforcé la contestation populaire contre la guerre. Poursuivi pour vol, conspiration et espionnage, Daniel Ellsberg a vu toutes les charges contre lui abandonnées en 1973.

 

Un écrivain que l’URSS n’a jamais réussi à briser, un petit entrepreneur qui pousse son président à démissionner et une porte-parole qui décide de parler : derniers portraits de celles et ceux qui refusent de se taire.

Hermes Magnus (1971)

C’est une histoire qui démarre par une simple perquisition dans une station-service et s’achève en scandale d’État. Patron d’une entreprise de composants électroniques pour automobile, Hermes Magnus accuse des personnalités locales d’utiliser sa société pour blanchir de l’argent. Les enquêteurs vont ainsi découvrir un système de pots-de-vin tentaculaire et de financement occulte qui touchent à tous les domaines de l’économie et du pouvoir brésiliens. L’affaire éclabousse jusqu’à son sommet. En 2017, le président Michel Termer, suspecté d’obstruction à la justice, est poussé à la démission. Une année plus tard, le tribunal de Porto Alegre condamne l’ancien président Lula à 12 ans de prison pour blanchiment et corruption.

Alexandre Soljenitsyne (1918-2008)

En 1945, le capitaine Soljenitsyne est arrêté. Motif ? Dans une lettre, l’officier critique Staline. Toucher au « petit père des peuples », c’est s’assurer un aller simple pour la Sibérie. Ses 8 années de goulag vont ainsi nourrir l’œuvre de ce militaire qui est aussi écrivain. Libéré puis réhabilité, Alexandre Soljenitsyne est autorisé par Khrouchtchev à publier Une journée d’Ivan Denissovich, roman puissant qui raconte vingt-quatre heures de la vie terrible d’un détenu dans les camps de l’URSS. Secrètement, Soljenitsyne rédige dans la foulée L’Archipel du Goulag qui dévoile les réalités du régime soviétique et de son système concentrationnaire. En 1974, le gouvernement le déchoit de sa nationalité et l’expulse. L’écrivain plie, mais ne rompt pas. Il poursuit son travail critique en exil. En 1994, Soljenitsyne peut enfin retourner dans son pays où il reçoit, en 2007, le prix d’État russe des mains de Vladimir Poutine.

Aïcha El Basri (1965)

Il y a vingt ans, Aïcha El Basri entrait aux Nations Unies où elle a occupé, douze ans plus tard, le poste de porte-parole de la Mission de l’ONU au Darfour (Minuad) dans l’ouest du Soudan. Sur le terrain de l’un des conflits les plus meurtriers d’Afrique, elle a découvert comment l’organisation internationale couvrait les crimes commis sur la population par le régime de Khartoum. Aïcha El Basri pour qui : « La diplomatie exige des compromis, mais je ne peux pas accepter la compromission », a démissionné et a livré des milliers de documents internes au magazine américain Foreign Policy. L’enquête sur l’échec de la Minuad a alerté l’opinion publique, sans vraiment rien y changer. Au Darfour, aucun armistice n’a encore été signé.

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