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La fin du patient passif

Le patient sera partie intégrante du cercle de santé et non plus au cœur de celui-ci. 

Xavier Comtesse

La numérisation toujours plus importante de la médecine entraînera un changement radical dans la manière de concevoir la santé. Et son financement.

Dans un monde profondément transformé par le digital, il faudra donc renouveler la définition du mot « santé », non seulement d’un point de vue médical, mais aussi du point de vue sociétal. Distinguer le mot « santé » de celui de soins, dissocier la santé au sens large de la santé au sens étroit, permettre de dépasser les limites conceptuelles du système même de la santé. Soigner ne peut plus être seulement un acte amorcé avec la détection d’un changement d’état signalant la maladie.
Alors que la santé, au sens moderne du terme, engage une posture proactive, un processus de recherche, la quête de la bonne forme physique et psychique ainsi que de sa conservation. La distinction doit être faite : les soins se définissent de manière réactive, la santé se définit de manière proactive. L’un reste occasionnel, l’autre est permanent.
Dès lors, on peut dire que la santé n’est plus un état mais qu’elle est devenue un processus.
Reste à mieux comprendre quelles transformations ce changement de paradigme engagera sur les comportements des professionnels de santé, des patients et de leurs familles, des institutions et des entreprises, organisations qui gèrent ensemble et globalement les systèmes de santé publique. Quelles contributions les acteurs professionnels de la santé sont-ils en mesure d’apporter dans un système de santé en continu ? Nous voici à présent dans un rapport nouveau à la santé : une situation évolutive suivie en temps réel, avec l’impression persistante de n’être ni vraiment malade ni vraiment en bonne santé et donc de toujours devoir surveiller et analyser le tableau de bord de nos indicateurs de santé. Autosurveillance d’une situation toujours en fluctuation, avec des hauts et des bas qui s’exprimeront sous forme de glissements d’une courbe autour d’une moyenne souhaitable et tout à fait personnalisée !
C’est donc un tout nouveau contexte qui se profile, marqué par le flux incessant d’images hétéroclites sur les composants multiples de notre état de santé. Non seulement il va falloir s’y habituer, mais plus encore, il va falloir le comprendre. En effet, disposer de très grandes quantités d’informations sur notre corps est une chose, mais pouvoir les interpréter correcte-ment et comprendre ce qui s’y passe en est une autre. C’est également à l’horizon un changement de mœurs : nous allons progressivement nous prendre en charge davantage, sans recourir nécessairement au système de santé traditionnel. Toute la question est là : à quel rythme les usages sociaux s’adapteront-ils au nouveau contexte ? Une génération ? Deux générations ? Bien moins que cela ?

Il est raisonnable aussi d’imaginer qu’une éducation massive accompagnera nécessairement ce mouvement de prise en charge de la santé par chacun et pour chacun ; Internet seul n’y suffira pas, ni même la disposition généralisée de bracelets de santé. Un réel apprentissage plus personnel devra commencer dès l’enfance et être poursuivi tout au long de la scolarité. Pour prendre un point de comparaison prosaïque mais exemplaire dans le champ de la santé, il faut penser aux changements de comportement en matière d’hygiène aux XIXe et XXe siècles qui ont apporté une contribution remarquable à la longévité. Le système global de la santé tel que nous le connaissons qui focalise davantage sur les soins que sur la santé n’avait prévu rien d’autre qu’un statut passif ou subordonné au patient. Ce n’est pas pour rien qu’il est justement désigné par le terme « patient » ! Celui qui attend que l’on veuille bien venir le guérir, qui attend que l’on s’occupe de lui. Objet du soin et non pas maître de son aventure, il n’est pas proactif face à ce qui lui arrive, ni même censé comprendre. Patient, passif !
Aujourd’hui, la santé est avant tout un processus nécessitant un ensemble de comportements appropriés comme des activités physiques et psychiques répétitives, une consommation en quantité raisonnable de nourritures naturelles, une hygiène de vie faite de repos fréquents, de conditions sociales suffisamment harmonieuses notamment au travail, sans oublier, chaque fois que cela est nécessaire, des soins professionnels adéquats. Le nouvel écosystème ne met plus le patient au centre d’un diagnostic comme « objet » mais l’inclut comme l’une des parties prenantes, essentielle au demeurant, dans un processus d’appropriation complexe. Le patient est dans le cercle, et non plus au centre de celui-ci et ce changement de perspective est important car il ouvre la voie au partenariat, il donne une place équivalente à chacun et désenclave le patient d’une relation subordonnée.
Vu sous ce jour, le système tend à basculer d’un système orienté « soins » vers un système orienté « santé ». En prenant un rôle nouveau, le patient devient acteur de sa santé et non plus simple consommateur de soins. Il remonte en quelque sorte dans la chaîne de production de la santé et c’est tout le système qui en est redessiné ! Le médecin, le pharmacien, l’infirmière, le laborantin, le chercheur, l’assureur, l’hygiéniste, le nutritionniste, le physiothérapeute, etc. sont tous tenus de modifier leur posture. Fini la blouse blanche et les arguments d’autorité. Une révolution en profondeur s’annonce qui touchera aux rapports humains aussi bien dans la société que dans la santé.
La santé devient l’affaire de tous et non plus de quelques-uns.

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Pour aller plus loin sur le sujet : « Santé 4.0 » par Xavier Comtesse, préface de Boris Zürcher. Georg Editeur.
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