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Interview de Bernard Dafflon

Le secteur public n’a pas vocation à posséder des immeubles relevant du patrimoine financier.

Bernard Dafflon, Professeur émérite de gestion Université de Fribourg

1. Comment sont gérés les biens immobiliers dans le canton de Fribourg ? Est-elle assurée par des services officiels et/ou par des privés ?

Rappelons la distinction entre patrimoine administratif et financier. La législation oblige les collectivités publiques à accomplir différentes tâches. Les cantons et les communes doivent se doter d’une infrastructure pour respecter ces dispositions légales. Une partie de l’actif de leur bilan est donc formé d’éléments indispensables à l’accomplissement des tâches publiques. Le critère de l’aliénabilité permet de classer les éléments du patrimoine comme actifs administratifs ou actifs financiers. Concrètement, cela implique que les éléments du patrimoine administratif ne peuvent être vendus sans nuire à l’accomplissement des tâches publiques, alors que les actifs financiers peuvent être cédés sans autre. Dans la plupart des cas, le Canton de Fribourg et les communes fribourgeoises (ou les associations de communes) gèrent directement le patrimoine financier (bâtiments d’école, administration communale, centres sportifs, etc.). On trouve ici et là quelques exceptions en PPP (partenariat public-privé). On a aussi des situations où le service a été autonomisé (régies de services industriels, bâtiments du Réseau hospitalier fribourgeois, Service cantonal des automobiles, Université, etc.) et gère directement les bâtiments. Pour le Canton, c’est le Service des bâtiments qui gère l’essentiel du parc immobilier administratif de l’Etat, de manière professionnelle.
S’agissant du patrimoine financier, soit l’entretien et l’exploitation d’immeubles et de bâtiments qui ne sont pas nécessaires à la fourniture de services collectifs et que l’Etat ou la commune pourraient vendre sans porter préjudice à leurs activités régaliennes. Là, c’est beaucoup plus compliqué; la situation est floue et ce n’est pas propre à la Suisse…
J’évoquerai l’étude de O. Kaganova et J. McKellar (éditeurs) : « Managing Government Property Assets, international experiences »*, The Urban Institute, Washington DC 2006. En 2004 – 2005, un groupe d’économistes se sont inquiétés de la « gestion » des biens immobiliers appartenant au secteur public, parce qu’à leurs yeux cette gestion relevait plus d’un flou artistique et d’amateurisme que d’une administration pointue et efficace. L’analyse a porté sur les pays suivants : Canada, Nouvelle-Zélande, France, grandes villes des Etats-Unis, Suisse, Allemagne, Services autonomisés du Canada, PPP des USA et de Grande-Bretagne. Constat plutôt alarmant: la gestion était loin d’être professionnelle, tant s’en fallait !
Pour Fribourg, au niveau cantonal, l’Etat n’a pas ou très peu d’immeubles relevant du patrimoine financier. La gestion de ces immeubles est faite aussi par le Service des bâtiments du canton, de manière professionnelle, par unité d’immeuble. En ce qui concerne les immeubles de la Caisse de prévoyance, autonome par rapport à l’Etat, la gestion est externalisée, et faite par unité, par la Régie de Fribourg SA.
En ce qui concerne les communes, la situation n’est pas satisfaisante. La plus grande partie (je dirais le 80 %) procède à une gestion globale dans le chapitre 942 de la classification fonctionnelle (MCH1). Il n’est même pas certain que la majorité d’entre elles tiennent à jour une liste nominative de leurs immeubles et soient à même de la produire céans. Autant dire que les communes se contentent d’enregistrer les dépenses et les recettes, sans véritablement gérer leurs immeubles par unité, et donc sans savoir quels sont les rendements exacts bruts et nets par unité. Il y a quelques exceptions, mais elles sont rares. Mais il faut dire aussi que les immeubles du patrimoine financier en main des communes sont peu nombreux. Les communes n’ont pas vocation à posséder ou gérer de tels biens. Les propriétés construites sont le plus souvent des immeubles locatifs à loyer modéré (HLM), le café du village, également une ferme avec le domaine attenant.

2. Une estimation régulière, par des experts externes, est-elle effectuée ? Procédez-vous à un audit périodique de la gestion et de l’exploitation de vos biens immobiliers ?

Non, et ce serait parfaitement inutile parce que les loyers ne peuvent de toute manière pas être modifiés suite à une telle estimation. En outre, une réévaluation comptable au bilan n’a pas de sens. La valeur nouvelle n’est estimée qu’à l’occasion d’une transaction immobilière (décision, par exemple, de vendre le café communal).

3. Quelle est votre vision stratégique de la meilleure politique à mener par l’Etat et/ou par les collectivités publiques, par rapport à leurs actifs immobiliers ? Vendre, valoriser, conserver ?

Trois verbes, c’est un peu court pour apprécier des situations très individuelles. Mais les règles fondamentales sont :

a) Rédaction de la liste exhaustive des immeubles, bâtis ou non, avec indication de la situation cadastrale, extrait du Registre foncier, valeur fiscale et valeur d’assurance.
b) Gestion individuelle de chaque immeuble.
c) Calcul du rendement de chaque immeuble.
d) Si le rendement net est positif, conserver l’immeuble n’est pas un problème. Si le rendement est négatif, examiner dans quelle mesure une valorisation est possible. Si,même avec une valorisation, le seuil de « pas de coût pour la collectivité » n’est pas atteint, examiner l’option de vente selon les conditions du marché ; peut-être faut-il reporter la décision si les conditions ne sont pas favorables.
e) Dans tous les cas, le rendement doit se calculer sur la valeur de marché et non pas sur la valeur patrimoniale. En d’autres termes, si la commune possède un bâtiment qui a une valeur historique, elle doit évaluer cette valeur et la diminuer de la valeur vénale. On ne peut pas demander au locataire de supporter le coût de la part « historique » du bâtiment, qui est, quant à elle, un bien collectif.

4. Disposez-vous d’un inventaire de tous les biens immobiliers (en location/en propriété) ? Cet inventaire comprend-il une évaluation régulièrement actualisée ?

Sur le principe, l’Etat et les communes, le secteur public en général, n’ont pas vocation à posséder et gérer des immeubles appartenant au patrimoine financier. Toute-fois, s’ils le font, la règle de base est donnée ci-dessus : en aucun cas, un bâtiment du patrimoine financier ne doit charger le contribuable. L’impôt n’a pas vocation à suppléer des rendements négatifs du patrimoine financier. Par contre, tant que chaque unité du patrimoine financier apporte un revenu qui, sur le long terme, permet de couvrir les frais et d’entretenir correctement l’immeuble, il n’y a pas de raison urgente à ce que l’Etat ou la commune s’en séparent.

5. Existe-t-il un inventaire de tous les biens immobiliers (en location/en propriété) du Canton de Fribourg ? Cet inventaire comprend-il une évaluation régulièrement actualisée ?

Oui, la commune où j’habite, Le Mouret, a un inventaire de ses biens immobiliers en propriété (elle n’est locataire d’aucun immeuble). Mais il n’y a pas d’actualisation régulière de l’inventaire, simplement parce que, pour une collectivité publique, cela est parfaitement inutile. Normalement, toute commune qui a mis son plan cadastral à jour (digitalisé et numérisé) et qui l’a informatisé (lien entre numéro des parcelles et noms des propriétaires) possède l’inventaire détaillé et complet de ses propriétés immobilières (pas de celles en location).

L’actualisation de la valeur des immeubles est inutile pour les motifs suivants :

– Pour les immeubles du patrimoine administratif, nécessaires pour la production des services collectifs (école, routes, station de pompage, station d’épuration des eaux, places publiques, etc.), il n’y a pas de valeur marchande, ni de valeur commerciale : ces immeubles ne peuvent pas être vendus, puisqu’ils sont nécessaires à l’accomplissement des tâches publiques. C’est donc leur valeur historique amortie qui figure au bilan ; pour les immeubles des services environnementaux – eaux, STEP, déchetterie –, la loi fédérale exige de poser la valeur estimée de remplacement.
– Pour les immeubles du patrimoine financier, qui peuvent être vendus, le MCH1 (modèle de compte harmonisé 1) recommande de mettre au bilan la valeur d’achat. L’écart entre la valeur de marché et la valeur d’achat n’est comptabilisé qu’au moment de la vente effective, comme recette extraordinaire pour la différence entre le prix de vente et la dernière valeur inscrite au bilan. La raison est qu’une réévaluation intermédiaire, sans opération de vente, est purement comptable : elle donne l’impression d’améliorer le résultat financier de la commune, alors qu’il ne s’agit que d’une opération comptable sans produit monétaire. Dans le MCH2 qui devrait être introduit entre 2014 et 2016, la recommandation N° 6 propose une réévaluation périodique des immeubles du patrimoine financier, la différence entre la nouvelle valeur et celle notée au dernier bilan étant inscrite comme recette… (Manuel, page 45). Deux remarques : 1. Le texte du manuel est faux, cette différence est un « produit » et non une « recette » si l’on respecte les définitions mêmes du MCH2 qui distingue charges et dépenses d’une part, produits et recettes d’autre part, les premiers termes étant comptables, les seconds monétaires… 2. Les communes ne vont pas appliquer cette recommandation N° 6, ou rechignent à le faire, parce qu’elle gonfle leurs résultats, ce qui peut inciter des propositions de nouvelles dépenses ou des envies de baisse d’impôt, alors que l’argent n’est pas là…

6. Où sont les conditions et les limites de l’intervention publique en ce qui concerne les biens immobiliers détenus par l’Etat/la collectivité ? En d’autres termes, dans quelle mesure le secteur public a-t-il vocation à gérer, louer, entre-tenir des immeubles ?

Pour ma commune, Le Mouret, si un même bâtiment est occupé par un service qui relève du patrimoine administratif et que l’immeuble relève en partie du patrimoine financier, la répartition des frais d’entretien et des frais courants se fait au mètre cube. Exemple : le bâtiment d’école de Bonnefontaine, l’un des trois bâtiments scolaires de la commune, comprend des salles de classe, une salle de société et deux appartements. La répartition entre les chapitre 2 (école), 3 (culture et sport) et 9 (bâtiments du patrimoine financier) se fait au pro rata des cubes, ici à hauteur de un tiers pour chaque affectation. A ma connaissance, une grande partie des communes – en tout cas fribourgeoises – pratiquent de la sorte.

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