Interview de Xavier Oberson

La Suisse devrait défendre tous azimuts son modèle fédéraliste.

Xavier Oberson, Avocat fiscaliste, Oberson Avocats, Genève

1. Pensez-vous que la Suisse puisse, pour quelque catégorie de personnes ou d’entreprises que ce soit, être qualifiée de paradis fiscal ?

La Suisse n’est pas un paradis fiscal, même selon les critères de l’OCDE. Selon cette organisation, un paradis est un pays qui ne possède aucun système fiscal significatif, ce qui n’est manifestement pas le cas de la Suisse. Certes, certaines caractéristiques de son système présentent des avantages compétitifs, par exemple pour l’imposition sur la dépense, ou certains statuts fiscaux particuliers relatifs à la fiscalité des entreprises (statut holding, statut de société auxiliaire, etc.). Toutefois, des régimes comparables se rencontrent dans la plupart des Etats, y compris des pays membres de l’OCDE.

2. Estimez-vous que d’autres pays répondent à cette qualification et, le cas échéant, lesquels, pour quelles catégories de contribuables ?

Il y a effectivement des pays qui correspondent à cette qualification et qui sont d’ailleurs recensés sur une liste de l’OCDE. On a tendance actuellement à distinguer entre ce que l’on appelle les paradis fiscaux coopératifs, à savoir ceux qui se sont engagés à participer à des procédures d’échange de renseignements sur la base notamment du modèle de l’OCDE d’accord d’échange de renseignements, et les paradis fiscaux dits non coopératifs, qui refusent un tel échange. A ma connaissance, il existe actuellement de nombreux paradis fiscaux dits coopératifs et on compte sur les doigts d’une main la liste des paradis fiscaux dits non coopératifs.

3. Y a-t-il une concurrence fiscale internationale déloyale ?

La concurrence fiscale, comme dans tous les domaines, n’est pas néfaste tant qu’elle reste loyale. Elle devient déloyale lorsqu’un Etat tente d’attirer sur son territoire des activités ou des personnes qui n’y ont aucun ancrage économique. Certains Etats ont recours à ce genre de méthodes. Il s’agit essentiellement des (vrais) paradis fiscaux.

4. La fraude fiscale peut-elle objectivement être combattue au niveau planétaire ?

C’est une question quasiment philosophique. Peut-on combattre un comportement déviant ou non conforme au droit au niveau planétaire ? Cette question est en outre étroite-ment liée au poids objectif et effectif de la fiscalité sur une personne ou sur une entreprise. Dès l’instant où un Etat en arrive à une sorte d’étranglement fiscal sur une entreprise ou une confiscation fiscale sur un particulier sans offrir pour autant des prestations ou des infrastructures adéquates, il sera difficile d’éviter l’apparition d’une certaine fraude fiscale. En tout cas, le développement actuel de l’échange planétaire de renseignements, avec plus de 500 accords bilatéraux consacrés à cette question, tend à lutter avec de plus en plus d’efficacité contre la fraude fiscale internationale.

5. Que devrait faire la Suisse pour gommer cette image erronée de paradis fiscal ?

Pour gommer son image de paradis fiscal, la Suisse devrait défendre tous azimuts son modèle fédéraliste qui est un savant équilibre, équitable, de partage de la charge fiscale entre trois collectivités qui se superposent : la Confédération, les cantons et les communes. Ce système fonctionne bien, est transparent et, par sa structure et les procédures démocratiques en place, permet aux citoyens de participer tant à son élaboration qu’à son évolution. Je suis souvent frappé, lors de présentations à l’étranger, du peu de connaissances de nos voisins sur le système fiscal helvétique. De même, les discussions se concentrent principalement sur l’impôt sur le revenu et les éventuelles particularités favorables de la Suisse, et oublient souvent l’impôt sur la fortune qui est très lourd en comparaison internationale. L’impôt sur la fortune est en effet inconnu de la plupart des Etats et une aberration pour les pays anglo-saxons ! Enfin, mais la Suisse commence peu à peu à le faire, elle devrait systématiquement attirer l’attention sur les régimes comparables et parfois plus favorables de certains Etats qui sont en concurrence avec nous. Je suis à cet égard ravi de constater que la France découvre subitement que la plupart des « exilés » fiscaux ne vont en définitive pas en Suisse, mais à Londres. Il est vrai que le statut obscur de « resident non domiciled », plus favorable que notre « forfait fiscal », est subtil et plein de nuances…

6. Si vous étiez une personne extrêmement riche, chercheriez-vous à optimiser votre situation fiscale ? Et comment le feriez-vous ?

Comme le dit le Tribunal fédéral, tout le monde est en droit d’organiser sa situation fis-cale, en toute légalité, de manière à payer le moins d’impôts possible. Cela dit, si j’étais une personne extrêmement riche, je pense que je tâcherais d’utiliser une partie de ma fortune dans des buts d’utilité publique, que ce soit pour encourager la formation, la culture ou l’environnement social dans lequel nous vivons. Je pense d’un côté que le système fiscal d’un pays doit permettre à une personne de devenir riche de façon tout à fait correcte, mais qu’une fois parvenue à ce résultat, cette personne a un devoir moral de contribuer à améliorer le cadre général de l’Etat qui lui a permis d’obtenir cette richesse, et à améliorer aussi la situation d’autres personnes, plus démunies.

Rubriques
Économie