Interview de Philippe Kenel

Il y a de moins en moins de capitaux non déclarés en Suisse.

Philippe Kenel, Avocat, étude Python & Peter Genève

1. Pensez-vous que la Suisse puisse, pour quelque catégorie de personnes ou d’entreprises que ce soit, être qualifiée de paradis fiscal ?

La Suisse n’est pas un paradis fiscal, ce qui serait tout à fait condamnable. La question est plutôt de savoir si notre pays est ou non un pays attrayant sur le plan fiscal. La réponse est positive, en ce qui concerne les sociétés bénéficiant d’un statut spécial et les contribuables imposés d’après la dépense.

2. Estimez-vous que d’autres pays répondent à cette qualification et, le cas échéant, lesquels, pour quelles catégories de contribuables ?

D’autres pays offrent des avantages supérieurs ou similaires : la Grande-Bretagne, le Luxembourg et Singapour pour les personnes morales, les deux premiers cités de même que la Belgique et Monaco pour les personnes physiques.

3. Y a-t-il une concurrence fiscale internationale déloyale ?

Il y a bel et bien une guerre économique et une série de menaces planent, notamment sur la place financière de Genève, davantage que sur celle de Zurich. En effet, si l’accord Rubik signé avec l’Allemagne entre en vigueur, ma crainte est que la FINMA, qui est fortement influencée par Zurich, impose à l’ensemble des banques suisses de renoncer non seulement au nouvel, mais également à l’ancien argent non déclaré européen. Si aucun accord Rubik n’est signé avec la France, cette exigence serait catastrophique pour la place financière genevoise, dont les banques devraient renoncer à l’argent non déclaré français, alors qu’elle ne poserait aucun problème à la place financière zurichoise, vu que la situation de l’argent non déclaré allemand aurait été réglée par l’accord Rubik. Concernant les sociétés, la pression exercée par l’Union européenne sur la Suisse n’est pas admissible, dans la mesure où les Etats membres n’ont procédé qu’à un ménage partiel de leur propre arrière-cour. Il reste çà et là des systèmes très avantageux pour les sociétés et il est pour le moins malvenu de critiquer la Suisse. Je pense notamment aux intérêts notionnels en Belgique et aux sociétés d’Agency en Grande-Bretagne. La Suisse dispose de deux outils de promotion économique: les statuts spéciaux pour les sociétés et les forfaits pour les riches résidents étrangers sans activité lucrative en Suisse. Sans ces outils, la Suisse serait bien moins attrayante, malgré son paysage serein et sa stabilité politique. Il ne faut par conséquent pas supprimer ces outils, mais les réformer.

4. La fraude fiscale peut-elle objectivement être combattue au niveau planétaire ?

Non, dans la mesure où les fraudeurs développeront toujours de nouvelles méthodes. Néanmoins, le monde évolue et la Suisse doit, par conséquent, s’adapter. Cependant, elle ne doit pas faire plus de concessions que les autres Etats et ne rien céder sans contrepartie. Par exemple, le passage à moyen terme à l’échange automatique d’informations avec l’UE est une solution, à condition d’obtenir en retour, le plus rapidement possible, la libre circulation des services financiers dont les banques suisses ont urgemment besoin. Les accords Rubik pourraient régir la situation pendant une période transitoire.

5. Que devrait faire la Suisse pour gommer cette image erronée de paradis fiscal ?

Il faut que les personnalités concernées, les patrons, les penseurs, les banquiers s’impliquent, mouillent leur chemise. Il faut renoncer à l’attitude trop fréquente qui se résume en la formule : « Arrêtez le monde, je veux descendre ! » Nous vivons au temps de Bill Gates et de Steve Jobs, des réseaux ouverts. Les tabous ont sauté, et miser sur le procédé de l’étouffoir, comme le font souvent les associations bancaires ou financières, n’a aucun sens. Il faut des avis qui touchent directement la population, non des déclarations formatées de présidents ou de secrétaires généraux lisses et policés.

6. Si vous étiez une personne extrêmement riche, chercheriez-vous à optimiser votre situation fiscale ? Et comment le feriez-vous ?

Bien sûr. L’erreur des socialistes, chez nous comme ailleurs, est de se focaliser sur les riches – pensez par exemple à l’initiative du PSS sur les successions –, alors que l’ouvrier ou la femme de ménage cherchent aussi à payer moins d’impôts, comme tout le monde. Le tout est de le faire de manière légale. Au reste, je constate qu’il y a de moins en moins de capitaux non déclarés dans le monde, et que leur utilisation s’avère de moins en moins aisée. Donc nous devons nous battre pour conserver les possibilités légales que nous avons d’attirer de bons contribuables et des entreprises porteuses d’investissement. Pour-quoi se priver des forfaits fiscaux, par exemple, parce que nous jugerions de façon pusillanime et erronée qu’ils sont immoraux ? Réformons-les, en augmentant les taux ou en durcissant leurs conditions, mais ne les abandonnons pas.

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