Interview de Michel Juvet

Le franc fort ? Un aiguillon pour devenir plus compétitifs !

Michel Juvet, Associé de la Banque Bordier & Cie, Genève

1. Les entreprises suisses se montrent-elles suffisamment innovantes ?

La réponse me paraît forcément positive. On ne peut ignorer les classements internationaux qui placent notre pays à un rang enviable tant en termes de compétitivité que de qualité de la recherche et du développement. Les pôles de R&D ont été fortement et intelligemment développés au cours des dernières années dans notre pays. D’ailleurs, si la Suisse n’était pas suffisamment innovatrice, ses entreprises multinationales ne prospéreraient pas de la sorte aux quatre coins du monde, qu’il s’agisse de la pharmacie, de l’horlogerie ou des machines. Dans ce dernier secteur, dès qu’une exigence de qualité et de forte valeur ajoutée se manifeste, où que ce soit dans le monde, on opte pour les produits de précision suisses plutôt que pour des machines moins onéreuses, mais moins performantes.

2. Quels sont les atouts particuliers des entreprises suisses, en comparaison avec l’étranger, et des Romands en comparaison avec le reste du pays ?

Je ne sais pas si les Romands s’en tirent mieux ou moins bien que les Alémaniques, mais en comparaison internationale, la Suisse dispose de plusieurs atouts. Dans les entreprises, on parle facilement plusieurs langues, ce qui n’est pas toujours le cas de nos voisins. En outre, nous avons une culture de l’efficacité et un système hiérarchique beaucoup moins lourd que d’autres. Lorsque le poids des directions est trop imposant, l’esprit d’innovation des collaborateurs est bridé. Enfin, la flexibilité du marché du travail est un atout de notre économie.

3. Le contexte suisse – les fameuses conditions-cadres – favorise-t-il l’innovation et l’exploitation de cette innovation ?

Certainement. Ce qui manque, en revanche, pour aller plus loin dans le sens de l’innovation, c’est une culture du capital-risque de la part des banques. Le problème est connu; il est difficile à une start-up de trouver des financements. Peut-être devrait-on imaginer de fortes incitations fiscales, susceptibles de stimuler les fonds d’investissement, par exemple, à combler cette brèche. Autre lacune, à mon sens : nous n’avons pas, en Suisse, la capacité d’encaisser un échec et de redémarrer aussitôt un autre projet. Lorsqu’on s’engage, on doit réussir. L’échec n’étant pas accepté, il faut donc prendre plus de temps pour construire un projet, et être prudent voire timoré dans ses ambitions.

4. Quels dangers pourraient menacer la force d’innovation helvétique ?

Tout ce qui peut freiner la juste récompense de l’imagination, du talent, de l’audace et du travail. Il convient de veiller, notamment, à ce que l’éducation et la formation restent de haute qualité.

5. Le maintien de la qualité suisse peut-il être assuré, tout en conservant la compétitivité des entreprises ?

Le protectionnisme, toujours séduisant aux yeux de certains responsables politiques, n’est pas une solution. Les lobbys et cartels non plus. Tout cela m’apparaît comme des oreillers de paresse. A cet égard, le franc fort est certes un danger, mais aussi un aiguillon qui nous empêche de nous endormir, nous oblige à devenir plus compétitifs ! Si on observe l’effet d’une monnaie forte, érodant les marges et compliquant l’exportation, on remarque que dans le long terme tant le Japon que la Suisse semblent y avoir puisé une motivation à résister à la crise en devenant encore meilleurs.

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