Interview de Flavien de Muralt1

La Suisse n’est pas un enfer fiscal.

Flavien de Muralt, Gérant de fortune, cofondateur de Swiss Respect, Genève

1. Pensez-vous que la Suisse puisse, pour quelque catégorie de personnes ou d’entreprises que ce soit, être qualifiée de paradis fiscal ?

Certainement pas. La Suisse est un Etat de droit, doté de règles fiscales fédérales et cantonales que l’on peut à son gré qualifier de meilleures ou de moins bonnes que celles d’autres pays. Pour certaines catégories d’étrangers domiciliés dans ce pays, il existe une taxation à la dépense. Ces forfaits fiscaux sont un atout à conserver. Pour certaines entre-prises pourvoyeuses d’emploi, il y a aussi des statuts particuliers. Tout cela existe dans d’autres pays, et dans un monde libre, pour ne pas dire libéral, il n’y a rien de choquant à ce que, sans être un paradis, la Suisse ne soit pas un enfer fiscal.

2. Estimez-vous que d’autres pays répondent à cette qualification et, le cas échéant, lesquels, pour quelles catégories de contribuables ?

Disons qu’il existe des exemples connus de pays pratiquant une politique fiscale plus généreuse que la nôtre, pour tout ou partie de leurs contribuables. Je citerai – cela vous étonnera sans doute – la France, où certaines catégories d’investisseurs du Qatar sont exemptés de toute imposition sur la fortune et les plus-values, et l’on sait que les placements qatariens dans l’Hexagone atteignent des volumes considérables. Autre exemple bien connu, l’Etat américain du Delaware, avec son fameux immeuble « abritant » 350 000 sièges de sociétés ! On pourrait aussi évoquer Londres, Singapour, Saint-Barth… Cela n’empêche personne de faire la morale aux Suisses.

3. Y a-t-il une concurrence fiscale internationale déloyale ?

C’est le cas, et c’est aussi le sens du combat de Swiss Respect. Nous voulons informer la population sur la réalité de la guerre fiscale et morale menée contre la Suisse, de qui l’on exige sans cesse des mesures qui ne sont pas appliquées, ni même projetées, dans les pays qui nous les réclament ! Voyez le secret bancaire autrichien ou luxembourgeois, ou les facilités offertes par la Floride, Jersey, Guernesey et d’autres à ceux qui ont des fonds non déclarés ! La Suisse gère un tiers de la fortune privée mondiale, et certains, plus puissants qu’elle, comptent bien récupérer ces actifs. Si l’on se place sur le plan moral, rappelons qu’on estime que quelque 2 % de la fraude fiscale américaine auraient été placés en Suisse; où sont les 98 % restants ?

4. La fraude fiscale peut-elle objectivement être combattue au niveau planétaire ?

La fraude fiscale, manœuvre malhonnête, doit être combattue. L’évasion fiscale –l’oubli ou la négligence dans la déclaration au fisc, la conservation d’un bas de laine à l’étranger – paraît inscrite dans la nature humaine. La Suisse n’aurait pas dû céder aux pressions extérieures et abandonner cette distinction. Cela revient à criminaliser l’épicier qui omet d’établir un ticket de TVA pour un biscuit acheté par un gamin et à accuser ensuite son banquier de recel.

5. Que devrait faire la Suisse pour gommer cette image erronée de paradis fiscal ?

Une fois encore, on assiste à une lutte à fondement idéologique, et non éthique comme on le prétend, contre la Suisse. Une infime minorité de l’argent soustrait aux fiscs français ou allemand se trouve apparemment dans notre pays, mais comme ledit pays est petit, riche et qu’il est facile de le mettre sous pression, nos voisins proches ou lointains s’en donnent à cœur joie. Un exemple : pourquoi l’Allemagne ne poursuit-elle pas ses millionnaires qui, pour échapper au fisc, ont massivement investi dans l’immobilier en Espagne, ou en France, sans le déclarer ? Pour nous défendre, nous devons rédiger et publier le maximum de textes, d’études, de blogs documentés et précis pour rétablir la vérité. La population suisse sait confusément que les attaques contre la place financière et économique helvétique sont exagérées; il est important de ne pas nier les erreurs commises, mais aussi de montrer que notre pays n’est pas responsable de la crise de la dette, ni de la crise tout court !

6. Si vous étiez une personne extrêmement riche, chercheriez-vous à optimiser votre situation fiscale ?
Et comment le feriez-vous ?

Optimiser ? Bien sûr ! Exactement comme je le fais aujourd’hui ; si j’étais riche à millions, je confierais ma déclaration d’impôts à une bonne fiduciaire, afin qu’elle s’assure que je ne paie pas un sou de trop et me conseille intelligemment. J’aime mon pays et il faudrait vraiment que celui-ci se mette à gaspiller l’argent des contribuables pour acheter des porte-avions, soutenir ou déboulonner des dictateurs, par exemple, pour que j’envisage un exil fiscal. Nous en sommes loin aujourd’hui, et c’est heureux. Mais j’avoue comprendre le chanteur Renaud, parti à Londres, et approuver la magnifique lettre à François Hollande de Philippe Bouvard, qui, lui, reste en France. A noter que le grand Roger Federer conserve son domicile en Suisse, précisément parce que la gestion de ce pays est sage !

Rubriques
Économie