Interview de Blaise Matthey

Une combinaison de créativité, d’innovation et de maintien de la qualité.

Blaise Matthey, Directeur général de la Fédération des Entreprises Romandes (FER)

1. Les entreprises suisses se montrent-elles suffisamment innovantes ?

Indiscutablement, la Suisse est en tête dans les divers classements mondiaux relatifs à l’innovation. Elle est ainsi au sommet de l’Indice mondial de l’innovation de l’INSEAD, devant la Suède et Singapour. Elle dépasse de loin les pays de l’Union européenne, selon son Tableau de bord de l’innovation1. Il en va de même, et c’est logique, pour ce qui est de sa compétitivité globale, selon le World Economic Forum. Cela est dû, en particulier, à une collaboration très efficace entre des centres académiques très performants et les entreprises.

2. Quels sont les atouts particuliers des entreprises suisses, en comparaison avec l’étranger, et des Romands en comparaison avec le reste du pays ?

L’ensemble des entreprises helvétiques voue une attention très soutenue à l’innovation. Il y a bien sûr de grandes entreprises très innovantes, en particulier dans les domaines des biotechnologies, mais aussi une multitude de PME qui consacrent une part importante de leur chiffre d’affaires, de l’ordre de 1 % à 5 %, à l’innovation. L’innovation est conçue comme une tâche qui incombe à l’en-semble de l’entreprise, et pas seulement au management, la tendance étant plus marquée en Suisse alémanique qu’en Suisse romande. C’est un facteur de motivation très puissant au sein des entreprises. En comparaison internationale, notre capacité à transformer les innovations en succès commerciaux, du fait de la bonne relation existant entre la recherche et les entreprises, explique notre classement. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes sans doute meilleurs dans l’amélioration que dans la création, phénomène que l’on avait déjà observé lors de la naissance de l’industrie horlogère. La Suisse romande dispose d’un programme intercantonal qui vise d’une part à développer les clusters, d’autre part à favoriser l’innovation et le transfert de savoir et de technologie. Dans le domaine de l’innovation et du transfert technologique, l’un des pôles les plus connus et les plus cités au plan international est celui de l’EPFL/Université de Lausanne, mais il ne faut pas oublier les structures existant autour et au sein de l’Université de Genève (Geneva Creativity Center, Unitec, notamment). Il existe aussi une multitude d’organisations dont la vocation est de favoriser l’innovation technologique.

3. Le contexte suisse – les fameuses conditions-cadres – favorise-t-il l’innovation et l’exploitation de cette innovation ?

Jusqu’à présent, certainement, sinon nous ne pourrions être aussi bien classés en comparaison internationale. La question de savoir quels contours doit prendre l’encouragement à l’innovation dans le futur est plus controversée. Ainsi, l’idée du Conseil fédéral de créer et de soutenir un parc suisse d’innovation a reçu un accueil plutôt frais en Suisse romande. De toute façon, ce parc devrait s’appuyer sur les pôles actuels et encourager une collaboration encore accrue entre eux, ainsi qu’avec l’ensemble des acteurs économiques. Il ne faut pas défaire ce qui a jusqu’à présent bien marché, même si le modèle suisse, très éclaté, ne ressemble pas à ceux d’autres pays. Au reste, l’innovation ne peut exister que si l’ensemble des conditions-cadres est propice à permettre son financement et son développement. Cela signifie que les efforts en matière d’éducation et de recherche devront se poursuivre et qu’il faudra améliorer ce qui, en comparaison internationale, serait trop lent, comme les barrières réglementaires. Et d’une manière générale, il faudra veiller à améliorer le cadre fiscal pour les entreprises, car une fiscalité mesurée est aussi l’un des facteurs qui permettent d’investir dans l’innovation, laquelle en retour permet de maintenir un substrat fiscal.

4. Quels dangers pourraient menacer la force d’innovation helvétique ?

Outre ce qui vient d’être mentionné, le manque de personnel qualifié peut menacer notre capacité d’innovation. Le retour d’un protectionnisme démesuré en la matière, accompagné de la dose de bureaucratie qui va de pair, serait très certainement préjudiciable à nos entreprises, lesquelles se plaignent de ne pas trouver suffisamment de collaborateurs présentant un niveau de connaissances suffisant. Or, la croissance suisse de ces dernières années a largement été le fruit de l’ouverture des frontières à du personnel de l’UE d’un niveau élevé. Sans oublier, bien entendu, l’apport de tous ceux qui, venant d’horizons plus lointains, ont aussi été les artisans de l’innovation. La crise qui s’annonce et le franc fort sont eux aussi des facteurs qui risquent de peser sur l’innovation. Lorsque les temps sont difficiles, on observe généralement que les budgets qui sont consacrés à la recherche et à l’innovation diminuent.

5. Le maintien de la qualité suisse peut-il être assuré, tout en conservant la compétitivité des entreprises ?

Le label suisse est un atout unique en comparaison internationale. Aucun pays n’est parvenu à un tel degré à associer ses produits et services à une identité nationale. Il faut cependant éviter de tomber dans une labellisation qui vire au protectionnisme. Notre pays est le fruit d’échanges intercommunautaires et sa prospérité économique provient pour moitié de ses échanges avec l’étranger. S’il est toujours performant, c’est parce que la capacité d’innovation de ses entre-prises lui permet d’avoir un coup d’avance sur d’autres. L’avenir du pays se jouera donc dans une combinaison de créativité, d’innovation et de maintien de la qualité qui, ensemble, lui permettront de demeurer compétitif, à condition que toutes les conditions-cadres soient au diapason.

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