Inde, le défi de l’urbanisation

L’avenir de l’Inde se jouera dans ses villes. Celles-ci génèrent déjà les deux tiers des richesses du pays alors qu’elles n’abritent que 31 % de la population. Le pays se prépare à une révolution urbaine de grande ampleur d’autant que sa population s’accroît. C’est dans ce contexte que le gouvernement indien a décidé d’investir dans les villes intelligentes.

Le nombre de citadins pourrait augmenter de 500 millions d’ici à 2050, ce qui signifie que l’Inde devra construire l’équivalent de deux villes de la taille de Singapour chaque année. Ce rythme d’urbanisation est sans précédent dans le monde et dans l’histoire, bien plus rapide que ce qui a été observé dans les pays occidentaux pendant la révolution industrielle. Les mégapoles indiennes sont déjà saturées. On y vit sous les ponts, le long des voies de chemin de fer, sur les toits. Le tiers de la population urbaine n’a pas accès à l’eau courante. À Delhi, seuls 17 % des foyers sont connectés au réseau d’assainissement. Or l’Inde doit s’urbaniser tout en prenant garde à ne pas aggraver le réchauffement climatique. C’est dans ce contexte que le gouvernement indien a lancé en 2015 le programme de construction de 109 villes intelligentes. Il s’est engagé à sélectionner les projets parmi ceux qui lui sont soumis par les États fédéraux et à participer à leur financement. Il s’agit à la fois de construire de nouvelles villes, par exemple le long du corridor industriel qui est en train d’être aménagé entre New Delhi et Bombay, et de rénover des quartiers de mégapoles. « L’idée est de créer un modèle réplicable, qui puisse être un phare pour les autres villes », souligne le ministère indien du Développement urbain. Qu’est-ce qu’une ville intelligente ? « Différentes choses pour différentes personnes », peut-on lire dans le document de présentation du projet, publié en 2015 par le ministère indien de l’Urbanisme.

Smart City à la carte

Dans ce pays fédéral à la grande diversité culturelle et géographique, les autorités se sont bien gardées de donner une définition précise de la « ville intelligente ». En matière d’urbanisme, l’intelligence consiste à s’adapter aux contextes locaux et aux besoins de la population. Chaque municipalité du pays est donc libre de définir son propre projet, à condition de respecter certaines conditions. Le projet doit être défini après consultation des riverains, via Internet, les réseaux sociaux ou en organisant des réunions publiques. Et plusieurs critères doivent être respectés comme la part de la production d’énergie solaire, au minimum de 10 %, l’attention portée à la mixité sociale, et la viabilité du plan de financement.

Population défavorisée à la traîne

Comment construire des villes intelligentes dans un pays où l’administration publique est réputée pour sa lenteur et sa corruption ? L’Inde a confié la mise en oeuvre des projets à des « special purpose vehicle », des organismes dédiés réunissant des acteurs publics et privés. Un montage administratif qui permet d’attirer les investissements privés dans les projets urbains, mais qui risque aussi de favoriser la modernisation de quartiers aisés au détriment de l’habitat des bidonvilles. La conception des villes intelligentes repose en partie sur l’usage des technologies. La municipalité de Bangalore, dans le sud de l’Inde, est la première à avoir collecté les données GPS des téléphones portables pour fluidifier le trafic en temps réel. D’autres réfléchissent à l’utilisation de capteurs pour n’éclairer les rues qu’en cas de passage d’un piéton, et ainsi économiser l’énergie. Or le groupe de réflexion « Centre pour Internet et la Société » (The Centre for Internet & Society [CIS]), basé à Bangalore, met en garde contre l’utilisation de ces données qui pourrait conduire à la violation de la vie privée, en l’absence de toute réglementation. « Il est important de combiner le développement urbain avec les principes démocratiques », prévient le groupe de réflexion dans une note publiée en mars 2016. Les investissements dans la technologie pourraient également favoriser les populations urbaines aisées au détriment des autres. « Une analyse des propositions de villes intelligentes a mis en lumière l’accent porté aux solutions technologiques et le manque de priorité accordé au logement social » a mis en garde la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable auprès des Nations Unies dans un rapport sur l’Inde publié en janvier 2017.

L’idée est de créer un modèle réplicable, qui puisse être un phare pour les autres villes.

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Innovation Urbanisme