France : vendre pour se désendetter promptement
En France, le sujet est sensible et le nombre de fonctionnaires autorisés à parler ouvertement de la stratégie de l’Etat à propos de son patrimoine se compte sur les doigts d’une main.
Estimé à 8 millions de mètres carrés de bureaux et à 42 millions de mètres carrés de biens spécifiques – monuments historiques, routes, prisons –, ce patrimoine est colossal, valorisé autour de 110 milliards d’euros. Mais cette estimation ne recoupe pas l’ensemble du patrimoine public français détenu également par les collectivités locales. Quant au patrimoine de l’Etat, son recensement exhaustif n’est pas accessible aux citoyens.
Un seul objectif : réduire
Si le patrimoine de l’Etat a toujours recouvert un enjeu symbolique – historiquement la construction de l’Etat en France s’est faite concomitamment à la constitution d’un domaine public –, son aspect financier représente aujourd’hui un enjeu de taille. Dans un contexte de très fort déficit budgétaire, les gouvernements successifs ont fixé un double objectif : réduire les implantations immobilières de l’Etat pour faire baisser les frais de fonctionnement des administrations et vendre les bâtiments devenus inutiles ou inadaptés. « Les services de l’Etat doivent disposer d’implantations mieux densifiées, plus économiques en charges d’entretien et de maintenance et qui offrent une meilleure qualité de travail aux agents et d’accueil au public qu’on reçoit », explique Nathalie Morin, chef de service de France Domaine, l’entité en charge de la gestion du patrimoine de l’Etat. C’est dans ce contexte qu’en 2008, une première stratégie a été établie : réduire d’ici à quatre ans d’un tiers le nombre d’implantations, de 500 000 m2 la surface utile nette de bureaux et atteindre un ratio de 12 m2 par agent. « L’objectif de réduction des implantations est en passe d’être atteint. La cible de 12 m2 par agent est plus complexe à mettre en œuvre, mais il s’agit bien d’offrir une meilleure qualité de travail pour les agents et d’accueil pour le public », reprend-elle. Relogement de ministères, regroupe-ment d’administrations dans les régions, renégociation et plafonnement des loyers dans dix-sept grandes agglomérations, et vente du patrimoine… tous les axes sont privilégiés pour optimiser le parc immobilier de l’Etat. Depuis 2011, le produit des cessions rap-porte ainsi chaque année environ 450 millions d’euros au budget général de l’Etat, dont 30 % du produit est affecté au désendettement du pays, le reste servant à réaliser des investissements et l’entretien lourd du patrimoine.
La cible de 12 m2 par agent est plus complexe à mettre en œuvre.
Des ventes au juste prix
Alors la France vend-elle ses bijoux de famille comme ces hôtels particuliers du XVIIIe siècle abritant jusque-là des administrations ? Les responsables de l’Etat s’en défendent. « On ne peut pas dire que l’Etat brade son patrimoine et ce en vertu de la règle constitutionnelle qui lui interdit de vendre en deça de la valeur vénale : la vente se fait systématiquement en fonction du montant évalué par le service des Domaines. Quant aux biens à caractère historique, les nouveaux propriétaires sont dans l’obligation de respecter les prescriptions liées aux monuments historiques. Il n’y a pas de raison pour que l’Etat s’interdise de vendre un hôtel particulier. Le seul fait que ce soit un immeuble classé n’est pas en soi une raison suffisante pour ne pas le vendre dès lors qu’il ne sert à rien aux besoins de l’Etat. » D’où un important programme de cessions à venir dans le VIIe arrondissement de Paris à la faveur du déménagement de services du Ministère de la Défense ou du regroupement sur un même site des services du Premier ministre à partir de 2016. Restent deux immenses chantiers auxquels doit s’atteler l’administration française pour devenir « un Etat exemplaire », comme le soulignent les documents officiels. Tout d’abord, disposer de bâtiments moins énergivores. L’Etat n’est pas très en avance… A ce jour, seuls 54,8 % des bâtiments ont fait l’objet d’un audit énergétique. Quant à l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, là encore le chantier est colossal : seulement 14,8 %des bâtiments à majorité de bureaux et occupés par l’Etat sont équipés d’ascenseurs adaptés aux personnes à mobilité réduite.
Trois questions à Jean-Louis Dumont, président du Conseil français de l’immobilier de l’Etat, instance consultative placée auprès du ministre en charge du patrimoine de l’Etat.
1. Vous avez remis un rapport en mai 2013 au ministre en charge de la politique immobilière de l’Etat. Quelles sont vos principales préconisations ?
– La principale de nos préconisations est de doter l’Etat d’une vraie direction immobilière. La création de France Domaine a été une première étape et les équipes qui y travaillent méritent un vrai coup de chapeau. Pourtant, toutes les conditions pour un travail optimal ne sont pas réunies. Par exemple, nous pensons qu’il serait indispensable de donner une plus grande autonomie, et donc des responsabilités, à France Domaine. Il convient égale-ment de séparer les fonctions de responsable de l’Etat propriétaire et des services utilisateurs, particulièrement en province.
2. Qu’en est-il de la fonction de maîtrise d’ouvrage ?
– Celle-ci est aujourd’hui insuffisamment assurée : soit les ministères n’ont plus aucune compétence en ce domaine soit quelques grands établissements publics aux compétences limitées à un ministère assument cette mission – France Domaine n’assumant pas d’autre responsabilité que budgétaire. Une piste pourrait conduire à unifier ou coordonner les établissements existants et à étendre leurs missions à l’ensemble des administrations et opérateurs, en les recentrant autour de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, notamment pour les projets complexes.
3. Vous présidez également l‘Union sociale pour l’habitat qui regroupe les organismes de logement social. La loi du 18 janvier 2013 prévoit une cession du foncier public à titre gratuit ou avec décote pour la construction de logements sociaux. Comment cela se passe-t-il sur le terrain ?
– Depuis la loi, il y a une mobilisation du foncier de l’Etat et de ses opérateurs pour augmenter la production de logements locatifs sociaux, en particulier dans les zones les plus tendues. Concrètement, il y a eu cinq cessions à Paris, Caen, Grenoble et Bordeaux. C’est un début, mais cela ne va pas aussi vite que nous le souhaiterions. Il reste des sujets flous qui nuisent à la réalisation concrète des projets, notamment sur le calcul de la décote.