Des déchets plastiques dans nos assiettes ? Une réalité

Depuis son avènement dans les années 1950, le plastique a envahi notre quotidien. Et nos océans. Ces milliards de petits déchets – menace croissante pour l’écosystème marin – polluent peut-être aussi notre chaîne alimentaire.

La disparition en mer du vol MH370 de la Malaysia Airlines, le 8 mars 2014, a indirectement mis en lumière une sombre réalité : nos océans sont de véritables poubelles. A plusieurs milliers de kilomètres des côtes australiennes, là où les équipes de recherche tentaient désespérément de retrouver la trace du Boeing 777, des dizaines d’objets flottants, en plastique le plus souvent, ont été aperçus, parfois récupérés. Aucun n’appartenait à l’avion. Selon un chiffre fourni en 2006 par le Programme des Nations unies pour l’environnement, on trouverait en moyenne sur la planète 18 000 morceaux de plastique par kilomètre carré d’océan. On estime en outre que sur les quelque 300 millions de tonnes de plastique pro-duites chaque année dans le monde, 10% finissent dans les océans. Souvent mis en avant pour illustrer l’ampleur de la pollution marine, ces deux chiffres sont toutefois à prendre avec précaution, tant le phénomène reste méconnu et complexe à mesurer.

Soupe de plastique

Figure de la lutte contre la pollution plastique, le navigateur et océanographe Charles Moore a été l’un des premiers à se pencher sur le sujet. En 1997, au retour d’une régate entre Los Angeles et Hawaï, il emprunte une route marine très peu fréquentée et s’étonne du nombre de débris qu’il croise. L’explorateur américain l’ignore encore : il vient de découvrir la première – et la plus importante – plaque de déchets du monde, rapidement surnommée le Great Pacifique Garbage Patch, la grande poubelle du Pacifique. Au total, on dénombre sur Terre cinq gigantesques zones où les déchets plastiques s’accumulent sous l’effet des courants marins. Situées dans le Pacifique Nord et Sud, l’Atlantique Nord et Sud et l’océan Indien, ces zones appelées gyres fonctionnent comme des tourbillons qui aspirent en leur cœur sacs plastiques, bouteilles, bidons et autres filets. Attirés par des courants plus ou moins circulaires, ces déchets mettent parfois plusieurs années à s’agglutiner mais ne ressortent jamais des gyres. Souvent appelé « septième continent » ou « continent de plastique », l’immense amas de déchets découvert par Charles Moore dans le Pacifique Nord n’est cependant pas une plaque solide, sur laquelle un homme pourrait marcher. Les scientifiques lui préfèrent d’ailleurs l’appellation de « soupe de plastique », où eau, plancton et minuscules morceaux de plastique côtoient des débris plus imposants. Dans cette zone de 3,4 millions de kilomètres carrés – environ 80 fois la superficie de la Suisse – Charles Moore et les scientifiques de son ONG, l’Algalita Marine Research Foundation, ont mené de nombreuses expéditions. Le constat est accablant : en moyenne, chaque kilomètre carré d’océan comporte plus de 334 000 fragments de plastique, avec des pics à près d’un million par kilomètre carré. Dans les échantillons d’eau prélevés sur place, à des milliers de kilomètres de toute civilisation, les scientifiques ont trouvé six fois plus de plastique que de plancton.

Dans nos assiettes ?

Parmi les déchets qui préoccupent le plus les chercheurs, les granulés plastiques, utilisés dans la plasturgie, menacent la faune marine. Souvent absorbés par les animaux, qui les confondent avec des œufs de poisson, ils sont évidemment difficiles à digérer. Mais pire encore, avant d’être ingérés par les poissons, ces granulés fonctionnent comme des éponges à polluants, absorbant notamment les pesticides et les herbicides rejetés dans les rivières. « Nous voulions voir si les poissons les plus courants dans l’océan profond, à la base de la chaîne alimentaire, ingéraient ces pilules empoisonnées, explique Charles Moore. Nous avons donc fait des dizaines d’autopsies, et plus d’un tiers des poissons avaient ingurgité des fragments de plastique pollués. Le détenteur du record, qui mesurait seulement 6,35 cm, avait 84 morceaux dans son petit estomac. » Dès lors, une inquiétante question se pose : le plastique des océans peut-il se retrouver à l’autre extrémité de la chaîne alimentaire, autrement dit… dans nos assiettes ? « Aucun poissonnier sur Terre ne peut vous vendre un poisson sauvage certifié bio », affirme Charles Moore. Mais pour le moment, aucune étude scientifique n’a apporté la preuve d’une quelconque contamination. Signe d’ailleurs que, sur ce sujet, la science est encore balbutiante, une récente étude est venue ébranler quelques certitudes. En 2010 et 2011, une équipe internationale de chercheurs a mobilisé quatre navires pour sillonner les cinq gyres et recueillir près de 200 000 échantillons. D’après leurs conclusions, publiées début juillet dans la très sérieuse revue de l’Académie américaine des sciences, 99% du plastique rejeté dans les océans auraient mystérieusement disparu. Au total, entre 7 000 et 35 000 tonnes de plastique flotteraient aujourd’hui à la surface des océans. Loin, très loin des millions de tonnes évoquées jusqu’à présent. « La bonne nouvelle, c’est que l’abondance de ces déchets de plastique est beaucoup moins grande qu’attendu, relève Carlos Duarte, coordinateur de l’Expédition Malaspina. Mais le grand problème est de déterminer où vont tous les micro-plastiques qui entrent dans l’océan. »

Dans les échantillons d’eau prélevés sur place, à des milliers de kilomètres de toute civilisation, les scientifiques ont trouvé six fois plus de plastique que de plancton.

Pessimisme

Où sont donc passés les déchets manquants ? Une partie a pu s’échouer sur les plages et les côtes. D’autres ont peut-être coulé vers les fonds océaniques sous le poids des organismes marins qui se fixent dessus. Mais pour les scientifiques, l’hypothèse la plus probable reste celle d’une ingestion massive par les animaux marins sous forme de minuscules particules de plastique. Et donc, d’une possible pollution à grande échelle de la chaîne alimentaire mondiale. En attendant de trouver des réponses fiables à ces questions, scientifiques et ONG se mobilisent pour sensibiliser la population au problème des poubelles flottantes. A défaut de pouvoir nettoyer les océans – une tâche techniquement complexe et financièrement ruineuse –, tous mettent l’accent sur deux priorités : nettoyer les canaux et les rivières, afin d’empêcher les déchets d’atteindre le large, et réduire au minimum la quantité de déchets produits. Face au règne du plastique, peu, toutefois, semblent croire à une possible dépollution. « La société du jetable ne peut pas être maîtrisée, elle s’est mondialisée », conclut Charles Moore.

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Environnement