Mon chirurgien est un robot

Qui nous opérera demain, un chirurgien ou un robot ? Serons-nous bientôt réparés comme des voitures sur une chaîne de montage high-tech, avec des bras de titane intervenant sur nos organes défaillants ? Vision d’une chirurgie du futur.

En 2001, des chirurgiens réalisent la première opération mondiale de téléchirurgie : une équipe de New York intervient à distance sur une patiente basée à Strasbourg. C’est l’opération Lindbergh, du nom de l’aviateur qui effectua le premier vol transatlantique sans escale entre Paris et New York. Le robot s’appelait Zeus. Deux ans plus tard, la société américaine Intuitive Surgical révolutionnait le monde des robots chirurgicaux avec son système Da Vinci.

Zeus, Da Vinci, des noms qui disent bien l’ambition de la technologie robot-assistée. Au point d’éclipser les chirurgiens des blocs opératoires ? « Il y a toujours un fantasme autour de la chirurgie robotique, tempère Charles-Henry Rochat, spécialiste de chirurgie robotique à la clinique Générale-Beaulieu à Genève. Mais la réalité c’est que ce seront toujours des chirurgiens expérimentés qui réaliseront les interventions. Pour moi, la grande évolution a été la chirurgie minimalement invasive au début des années 1990, ce que j’appelle la chirurgie des trous de serrure. La robotique constitue une formidable avancée technologique, elle ne change pas le geste mais elle le facilite. » Un avis partagé par Nicolas Demartines, chef du service de chirurgie viscérale du CHUV : « Il faut vraiment garder à l’esprit le fait que le robot ne fait rien tout seul. C’est un système maître–esclave comme on disait aux débuts de la robotique. Le robot sera toujours dirigé par un chirurgien. »

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(Intuitive Surgical)
Le robot américain Da Vinci. Genève en possède la plus grande concentration du monde par mètre carré.

Forte croissance

Encore quasi inexistants en 2010, les robots chirurgicaux ont conquis les hôpitaux : il y a actuellement 6000 Da Vinci à travers le monde. Le marché est en forte croissance et la concurrence s’organise avec l’arrivée à échéance des brevets de Intuitive Surgical. Mais qu’amènent réellement ces machines à la chirurgie ? « Elles apportent de grands avantages pour les opérations de chirurgie complexes, explique Charles-Henry Rochat qui opère depuis vingt ans avec Da Vinci. Grâce à l’endoscope (la caméra installée sur un des bras du robot), le chirurgien dispose d’une vision 3D avec un grossissement 15 fois supérieur à l’œil humain. Il y a davantage de stabilité puisque ne survient aucun tremblement. Et le robot offre un confort ergonomique : en laparoscopie classique, le chirurgien doit souvent se tenir dans des positions inconfortables. Cette chirurgie permet d’offrir le maximum de qualité au patient avec le minimum d’agression. » Les robots permettent aussi d’atteindre des zones difficiles d’accès comme le petit bassin (utérus, prostate) ou la région foie-pancréas. Ils sont donc particulièrement utiles en chirurgie viscérale, urologique et gynécologique, ou pour les interventions de la sphère ORL. Pour Philippe Morel, spécialiste en chirurgie générale et viscérale à la clinique Générale-Beaulieu, la robotique offre en outre davantage de sécurité au patient. « Aujourd’hui, le plus grand risque pour le patient, c’est le chirurgien ! Ces technologies permettent de sécuriser l’intervention en la préparant avec les compétences d’autres disciplines comme la radiologie. »

 Aujourd’hui, le plus grand risque pour le patient, c’est le chirurgien ! 

Mais cette chirurgie de pointe, pour l’instant réservée aux interventions complexes, a un coût. Il faut compter près de 2,5 millons de francs pour un robot Da Vinci nouvelle génération, auxquels s’ajoutent 150’000 francs annuels de frais de maintenance. De plus, une intervention avec l’aide de ce système coûte 25 à 30% de plus qu’une laparoscopie (chirurgie mini-invasive du ventre) manuelle, une hausse en partie compensée par des durées d’hospitalisation plus courtes. Genève possède la plus grande concentration de Da Vinci du monde par mètre carré, avec six robots répartis entre les HUG et les cliniques privées. À l’inverse, le canton de Vaud ne disposait jusqu’à présent que d’un exemplaire, partagé entre le CHUV et la clinique La Source. Mais avec l’inauguration en novembre dernier de son nouveau bloc opératoire rénové, le CHUV a décidé de franchir le pas : une des 14 salles d’opération est équipée d’une plateforme Da Vinci. Contrairement à ses collègues genevois, Nicolas Demartines a mis du temps à être convaincu par les robots. « La chirurgie s’est beaucoup complexifiée. Il n’y a plus une prise en charge unique, mais une prise en charge multidisciplinaire, qui associe plusieurs techniques. Il faut élaborer de nouveaux standards de soins : quelle intervention a l’avantage d’être réalisée par quelle technologie ? Il s’agit d’utiliser les bonnes solutions pour les bonnes applications. En gardant toujours présent à l’esprit que la technologie est là pour aider le chirurgien au service du patient. »

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(Distalmotion)
Dexter, le robot chirurgical de Distalmotion. La start-up vaudoise revendique une machine qui laisse plus de liberté d'action manuelle au chirurgien que son concurrent Da Vinci.

Robot suisse

Un autre robot, au nom plus modeste que ses prédécesseurs, fait aussi son entrée au CHUV : Dexter (pour dextérité), un robot 100% suisse, commercialisé depuis l’été 2021 par l’entreprise Distalmotion, une spin-off de l’EPFL. « Dexter est un produit encore expérimental. Le CHUV est l’un des trois centres à le tester sur de vrais patients, pour des procédures de chirurgie colorectale », explique Nicolas Demartines. Si Distalmotion ne souhaite pas communiquer le prix de son robot, Dexter représenterait une solution nettement plus économique que son grand frère américain. Il promet surtout un changement de paradigme : à l’inverse des robots toujours plus autonomes développés par ses concurrents, Distalmotion entend faire de Dexter le pionnier de la chirurgie robotique hybride. Une approche qui laisse davantage de latitude au chirurgien en combinant la robotique et la laparoscopie manuelle. L’avenir dira si ce robot low cost est un concurrent sérieux pour Da Vinci ; il pourrait en revanche représenter un compromis typiquement helvétique entre chirurgie de pointe et économicité.

Chirurgiens microscopiques

Reste que les robots seront bien les assistants, de plus en plus intelligents, des chirurgiens de demain. «Grâce à l’intelligence artificielle, les robots permettront bientôt d’observer des zones difficiles à voir à l’œil nu et de guider le chirurgien vers les zones problématiques, par exemple des tissus cancéreux à un stade très précoce », explique Nicolas Demartines. Pour Charles-Henry Rochat : « On va intégrer encore davantage l’imagerie dans le champ visuel du chirurgien et autonomiser certaines fonctions du robot, par exemple pour faire des nœuds ou positionner les trocarts (les bras du robot) au bon endroit. » Philippe Morel voit encore plus loin : « À l’avenir, l’intervention sera réalisée virtuellement par le chirurgien qui choisira la meilleure opération possible et l’enregistrera pour qu’ensuite le robot assure le geste technique en temps réel. L’autre progrès viendra de la miniaturisation, avec des robots téléguidés qu’on pourra introduire dans le corps du patient. »

En revanche, la téléchirurgie réalisée lors de l’opération Lindbergh n’a pas eu de suites, pour des raisons à la fois éthiques et technologiques. Des obstacles qui seront peut-être levés après-demain ? ■