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Pour ses 100 ans, le Bauhaus retrouve une jeunesse à Tel-Aviv

Dans la « ville blanche », les gratte-ciel attirent immédiatement le regard. Mais, inspirés du mouvement Bauhaus, plus de 4’000 bâtiments de style international, brutaliste et moderniste, valent également le détour.

Érigées entre 1930 et 1948, ces constructions sont pour la plupart surélevées grâce à des pilotis afin que l’air puisse circuler, laissant une impression de flottement dans l’espace. Beaucoup d’immeubles aux façades arrondies, certains percés de hublots ou surmontés de pergolas, rappellent la forme de grands navires. On les surnomme « les bateaux sur le sable ».

Au pied des bâtiments, on retrouve souvent de beaux jardins, des arbres, donnant une impression d’accord avec la nature. Alors que Tel-Aviv, située dans une zone marécageuse, est accablée de chaleur l’été, des brise-soleil font barrage à la lumière et les toits-terrasses permettent de prendre de la hauteur.

Les mouvements architecturaux de l’entre-deux-guerres sont marqués par le socialisme et le désir d’égalité. Des valeurs partagées par les communautés juives de la Palestine mandataire de l’époque dont l’archétype est le kibboutz. À cette image, les appartements à Tel-Aviv sont construits pour être fonctionnels ; les pilotis en béton armé permettant de dégager les façades, laissant une liberté conceptuelle totale pour les intérieurs.

L’UNESCO reconnaît la « ville blanche »

Longtemps marginalisées, ces constructions ont finalement été reconnues en 2003 comme Patrimoine mondial de l’humanité. Tel-Aviv fait partie du club fermé des vingt cités mondiales, avec Brasilia ou Le Havre par exemple, distinguées pour leur architecture. Si les projecteurs se sont tournés sur la « ville blanche » comme on la surnomme désormais, c’est grâce à la prise de conscience de quelques personnes et notamment du Suisse Micha Gross. À la fin des années 90, cet ingénieur quitte Zurich pour rejoindre sa femme israélienne à Tel-Aviv et commence à enquêter sur le mouvement Bauhaus. Le couple, passionné d’architecture, découvre une histoire plurielle, riche et précieuse mais s’inquiète aussi de l’état de centaines d’immeubles abîmés par le temps. Ils décident alors de créer le Centre Bauhaus en 2000  : « Notre motivation a été alimentée par un souci de rénovation. Il y avait des merveilles qu’il fallait préserver et mettre en évidence. Il y a vingt ans, on nous prenait un peu pour des fous, alors il a fallu expliquer aux Tel-Aviviens que les investissements valaient la peine d’être faits. Heureusement, trois ans après la création du centre, l’UNESCO a reconnu la ‹ ville blanche ›. Et là, tout a changé. »

Un héritage unique

La Municipalité et le Centre Bauhaus n’ont cessé depuis vingt ans de documenter l’incroyable aventure architecturale de Tel-Aviv : Alors que l’Europe s’enfonce dans le fascisme, des architectes juifs allemands et autrichiens débarquent à Tel-Aviv. Six d’entre eux ont suivi les cours de l’école du Bauhaus, fondée en 1919 à Weimar par Walter Gropius, un architecte de 36 ans connu pour son style audacieux : des lignes et des angles droits, des façades en verre, pas d’ornement. Le but est de créer des intérieurs confortables, fonctionnels et économiques. Des principes chers aux deux ténors de l’époque, Le Corbusier et Mendelsohn, qui inspirent tous les courants modernes. « La ville de Tel-Aviv a donné la possibilité aux architectes de créer quelque chose de nouveau, précise Micha Gross. En Europe, ce n’était pas possible. S’il avait pu, Le Corbusier aurait cassé Paris pour construire une ville nouvelle. Ici, il n’y avait rien, les architectes pouvaient concrétiser leurs rêves ; c’est le modernisme pur qui s’est réalisé. »

Une rénovation en cours

Sur les 4’000 bâtiments de la « ville blanche », 90% existent encore et à peu près 30% ont déjà été rénovés. Pour encourager propriétaires et promoteurs immobiliers à participer à l’effort de conservation, le Gouvernement israélien les a autorisés à réaliser des extensions, c’est-à-dire à ajouter un ou deux étages. Avec la hausse vertigineuse du prix de l’immobilier ces dernières années, les propriétaires rentrent ainsi facilement dans leurs frais. Les modifications doivent tout de même respecter « la philosophie du bâtiment, les proportions et les couleurs d’origine », précise Jérémie Hoffmann, directeur du Département de conservation de la municipalité de Tel-Aviv. « S’il n’y avait pas eu l’UNESCO, des bâtiments auraient été cassés pour faire des gratte-ciel », assure Micha Gross. Aujourd’hui, le Suisse se félicite que 200 immeubles soient « intouchables ».

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