Un dilemme hongrois

Elle a puisé dans ses souvenirs de famille pour raconter un épisode tragique de l’histoire hongroise. Avec son roman L’anatomie d’une décision, Anna Szücs reçoit le Prix littéraire SPG du premier roman romand 2021.

Le premier roman, parfois illustré, d’Anna Szücs, L’anatomie d’une décision, se déroule au début de l’insurrection de Budapest, en octobre 1956 contre le régime communiste. Il suit à la manière d’une chronique le quotidien bouleversé d’Imre Spiegel, d’Irma et de leur fils Andris dans la ville hongroise de Zalaegerszeg. Imre se prend à rêver d’égalité et de liberté. Mais les affres de la Seconde Guerre mondiale ressurgissent chez celui dont la famille juive a déjà tant perdu. Durant sept jours, l’incertitude s’installe face à un dilemme cruel : rester ou fuir ?

Rencontre avec l’auteure de cette déchirure qui a grandi en Suisse, vécu aux États-Unis et exerce désormais la psychiatrie à Singapour.

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(Cyril Menut)
Anna Szücs et son premier roman.

Comment ce roman est-il né ?

Il est né en deux phases. J’avais écrit une première version, plus courte, comme un travail de maturité alors que j’étudiais au collège Rousseau, à Genève. À l’époque je sortais de l’adolescence, ma motivation première était une recherche d’identité, moi qui suis d’origine juive et hongroise. Ma famille a énormément souffert pendant la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup de ses membres ont disparu dans les camps de concentration. Mais ils restaient présents dans nos têtes, nos récits et dans les albums photo que j’adorais regarder avec mon père. Ce premier texte me permettait de remonter le temps, de reconstituer les événements et de mieux comprendre qui étaient mes grands-parents, leurs frères et leurs sœurs, que je n’avais pas connus.

À quel moment avez-vous décidé que ce texte pouvait devenir un livre ?

Il y a sept ans, lorsque je l’ai retrouvé sur mon disque dur. Je l’ai relu et il m’a émue aux larmes. Je me suis dit que c’était le moment d’en faire quelque chose de plus ambitieux. J’avais terminé mes études, j’étais entrée dans l’âge adulte. Avec les conseils de mon éditeur, j’ai étoffé le récit de base qui ressemblait plutôt à une longue nouvelle. J’ai ajouté des passages, approfondi certains aspects, donné une tournure plus psychologique à l’histoire. Je suis médecin de formation et je travaille en psychiatrie. Mon expérience de vie m’a ainsi permis de voir dans ce texte autre chose qu’une simple quête d’identité. Les protagonistes de l’histoire sont des juifs qui se retrouvent dans un régime communiste qui taisait les horreurs de la guerre. Ma question était de savoir comment on digérait un passé traumatique dont on ne pouvait pas parler ? Comment les souvenirs de cette douleur sourde se réveillent-ils lorsque survient un événement aussi chaotique que la Révolution hongroise de 1956.

Comment fait-on pour transformer cette matière en partie autobiographique, ou du moins héritée de la mémoire familiale, en roman ?

Pour moi c’était facile, car je n’ai pas eu besoin d’écrire en me fondant sur mes propres souvenirs. J’ai utilisé ceux de mon père pour exprimer la trame de l’histoire. J’ai ensuite respecté au mieux les faits historiques pour rester le plus proche possible de la réalité. J’ai écouté des émissions de radio de l’époque en me demandant si mes grands-parents les avaient aussi entendues en 1956. Ma part d’imagination est intervenue au sujet des traits de caractère des personnages et de leurs réactions au fur et à mesure que se déroulait cette semaine. Et de ce qui a pu les aider, ou en tout cas les amener, à prendre leur décision.

C’est un roman qui met une famille face à l’exil… ou pas. Vous êtes née en Hongrie, vous êtes arrivée à Genève toute petite. Vous avez habité aux États-Unis pendant quelques années, vous vivez désormais à Singapour. Avez-vous l’âme nomade ?

Ce serait plutôt le contraire. Je suis en effet arrivée à Genève quand j’avais 2 ans. J’y ai grandi et y ai suivi toutes mes études. Cette double identité a été compliquée à gérer pendant mon adolescence. Avec mes parents, nous retournions plusieurs fois par an en Hongrie. J’avais cette impression que peu importe où je me trouvais, les gens ne me comprenaient pas. Je ne cherchais pas du tout à partir de Genève, je ne voulais surtout pas avoir une troisième, voire une quatrième, part d’identité. Il se trouve que je me suis mariée avec quelqu’un qui avait très envie d’aventure et de nouveaux horizons. À la fin de notre vingtaine, il a tenu à ce que nous allions habiter aux États-Unis. J’y suis allée à reculons, mais l’expérience a été formidable. J’ai finalement pris goût au voyage. Quand l’occasion s’est présentée de rejoindre mon mari à Singapour, je n’ai pas hésité. ■