Afrique du Sud : Les universités s’améliorent, doucement

« Les universités sud-africaines sont les meilleures du continent. Il n’y a même pas de comparaison possible. » Le célèbre professeur d’études politiques Achille Mbembé est originaire du Cameroun mais enseigne, depuis dix ans, à l’Université de Witwatersrand de Johannesburg.

« Wits » n’a rien à envier aux meilleures universités européennes. Les amphithéâtres sont immenses, les infrastructures sportives grandioses, et le bâtiment principal ressemble à un temple classique de l’époque romaine. « Alors que toutes les universités africaines souffrent d’une réduction des budgets et de la fuite des cerveaux, poursuit Mbembé, l’Afrique du Sud suit le chemin inverse : les budgets augmentent et les intellectuels sont revenus à la fin de l’apartheid. » L’éducation reçoit 20 % des dépenses totales de l’Etat, et 2,8 % du budget est consacré à l’enseignement supérieur. Dans la Constitution de la nouvelle démocratie, l’enseignement occupe une place privilégiée. Il est établi que « l’Etat a le devoir, à travers des mesures responsables, de rendre l’éducation supérieure accessible à tous, progressivement. »

L’Etat a le devoir, à travers des mesures responsables, de rendre l’éducation supérieure accessible à tous, progressivement.

Les termes de la Constitution sont prudents car les défis sont immenses. 85 % de la population sud-africaine part avec un retard presque insurmontable. Pendant les quarante années d’apartheid, Noirs et Métisses n’avaient pas le droit à un enseignement de qualité. Encore aujourd’hui, 65 % des Blancs vont à l’université, contre seulement 14 % des Noirs. Ces chiffres sont la conséquence des problèmes d’éducation sur le long terme. Les élèves issus de familles plus aisées se regroupent dans des écoles privées alors que le reste de la population n’a d’autre choix que d’apprendre dans des salles de classe bondées, avec des professeurs peu qualifiés. Simphiwe, 17 ans, vit dans un bidonville à la périphérie de Johannesburg. Il a été refusé à l’université et pourtant il est l’un des meilleurs élèves de son école. « Nos profs ne savent rien, souffle-t-il, désabusé. Ils retranscrivent au tableau ce qui est écrit dans nos livres et nous interdisent de poser des questions si on ne comprend pas… » La mère de Simphiwe gagne 1 300 rands par mois, soit 184 francs. Une année d’enseignement à l’université coûte en moyenne trente fois plus que son salaire mensuel. Mais, grâce à un système de bourses performant mis en place par l’Etat, son éducation aurait pu être prise en charge entièrement. En réalité, la quasi-totalité du budget de l’Etat pour l’enseignement supérieur (18,5 milliards de rands, 2,6 milliards de francs) part dans les bourses. Toutes les universités sont privées, « autosuffisantes », mais pratiquent des prix déraisonnables dans un pays en développement. Alors, c’est à l’Etat d’aider les familles. Ou aux élèves étrangers de payer le prix fort.

L’Afrique du Sud attire de plus en plus d’étudiants africains. Autrefois, ils auraient préféré l’Europe ou les Etats-Unis, mais aujourd’hui le premier choix se tourne vers Johannesburg ou Le Cap. La « locomotive de l’Afrique » offre un enseignement excellent, la vie est moins chère et la différence culturelle moins importante. Sans compter que les visas pour venir étudier en Europe sont de plus en plus difficiles à obtenir. Sur le million d’étudiants des universités sud-africaines, 200 000 sont étrangers. Une forte proportion dont se plaignent régulièrement les syndicats étudiants, arguant que les étrangers « volent les places des Sud-Africains ». Et pourtant, ce sont eux qui font vivre financièrement les universités en dépensant plus du double pour leurs études (en moyenne 60 000 rands à l’année, soit 8 400 francs) et ils sont souvent beaucoup mieux formés que la majorité des Sud-Africains noirs.
Cette « nouvelle carte d’émigration intellectuelle du Sud vers le Sud », comme l’appelle le professeur Achille Mbembé, est une chance pour élever le niveau des universités du pays. « Grâce à la crise financière et au repli des universités européennes vis-à-vis des étrangers, les intellectuels africains ont désormais la chance de suivre un enseignement de qualité, moins cher, sans devoir partir en Europe. » Encore faut-il que la majorité des Sud-Africains puissent un jour avoir le niveau requis pour y accéder.

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