Les précurseurs de la vérité

Le lanceur d’alerte n’est pas l’apanage de notre société contemporaine. Bien avant Edward Snowden, Galileo Galilei, Voltaire ou encore Émile Zola avaient également choisi de prévenir l’opinion publique, parfois au péril de leur vie.

1632

« Eppur si muove… Et pourtant elle tourne ». Le 22 juin 1633, Galileo Galilei se présente à genou devant le tribunal du Saint-Office à Rome. L’astronome de 68 ans vient lire l’acte d’abjuration qui va lui éviter de mourir au cachot. Pour le monde chrétien, la Terre créée par Dieu se trouve au centre de tout. Galilei, qui observe le ciel a constaté exactement l’inverse.

Publié en 1632, son Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde) défend l’idée que la Terre tourne autour du Soleil. Blasphème ! Cette conception héliocentrique de l’univers, le pape Urbain VIII n’y est pourtant pas totalement opposé. C’est même lui qui a commandé l’ouvrage au savant de Pise. Problème : pour soutenir sa thèse, Galilei met en scène trois personnages, dont Simplicius, un idiot cosmique qui soutient mordicus le système planétaire biblique et dans lequel Urbain VIII reconnaît sa caricature. L’affaire Galilei est ouverte.

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Antique illustration of Galileo Galilei statue
Au XVIIe siècle, l'astronome Galileo Galilei découvre que la Terre tourne autour du Soleil. L'Église le forcera à maudire ses travaux.

1633

Lâché par le pape, l’astronome est accusé par le Vatican de défendre une doctrine contraire aux Saintes Écritures. Il est forcé de maudire ses travaux. L’histoire veut qu’il quitte son procès en murmurant son célèbre aparté. Lequel, le condamnant à une mort certaine s’il avait été entendu, n’aurait en fait jamais été prononcé. Dans son livre The Italian Library publié en 1757, le journaliste italien installé à Londres Giuseppe Baretti imagine la scène et la formule qui va avec. Une légende était née. Il faudra attendre 1992 pour que le pape Jean-Paul II reconnaisse que l’Église s’était trompée.

Qu’importe que Galilei soit, ou non, l’auteur de cette petite phrase restée dans les annales. Aujourd’hui, le savant serait qualifié de lanceur d’alerte au même titre qu’An Fei, la cheffe des urgences de l’hôpital central de Wuhan en Chine, la première à avoir voulu avertir le monde sur les dangers du Covid-19 et dont on est toujours sans nouvelles. Ou encore de Daniel Ellsberg, analyste militaire et premier lanceur d’alerte attitré, qui en 1971 inonda la rédaction du New York Times avec ses Pentagon Papers, 7000 pages de documents « secret-défense » qui prennent le Gouvernement américain en flagrant délit de mensonge et prouvent l’intensification de son implication dans la guerre du Vietnam alors qu’il prétend s’en dégager.

1762

Alors oui, le lanceur d’alerte est une idée du XXe siècle. Elle apparaît en 1999 dans les travaux des sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny. Le terme élargit la définition du whistlelblower anglo-saxon qui alarme d’un problème ou d’un abus de pouvoir déjà existant. Le lanceur d’alerte, lui, dénonce un fait dont le danger ou les conséquences ne sont pas encore avérés, mais qui apparaissent comme évidentes.

Pour autant, ce concept n’est pas exclusivement le fait de notre histoire contemporaine. Les idées nouvelles, les injustices, les résistances à la raison d’État et aux intérêts de l’économie ne datent pas d’hier. Dans son malheur, Galileo Galilei a au moins eu la vie sauve, vie qu’il a d’ailleurs pu finir tranquillement dans sa villa de Florence. Ce n’est pas le cas de Giordano Bruno, lui aussi partisan de placer le Soleil au cœur du système, mais dont les écrits et les théories l’envoyèrent en 1600 au bûcher. Pendant des siècles, le tribunal de l’Inquisition va ainsi réduire en cendres tous ceux qui n’adhèrent pas à sa vérité.

Voltaire, qui avait fait de sa liberté de penser le socle de sa philosophie, vivait ainsi loin de Paris, les fulgurances de son bel esprit n’ayant plus vraiment les faveurs de Versailles. En mars 1762, on lui parle d’un certain Jean Calas, marchand d’étoffes protestant, accusé d’avoir assassiné son fils qui cherchait à se convertir au catholicisme. Le philosophe vole au secours du commerçant, mais arrive trop tard. L’homme vient d’être roué, étranglé et brûlé sur ordre du parlement de Toulouse, sans aucune preuve pour étayer son crime. Depuis son château de Ferney, Voltaire va dès lors tout mettre en œuvre pour le réhabiliter et lever les inculpations qui frappent encore certains membres de sa famille. Il identifie les coupables du drame : le fanatisme religieux, la superstition et les étroitesses d’esprit.

Il en fait même un livre. Son Traité sur la tolérance de 1763 dénonce le sectarisme, notamment des jésuites, et la rigidité humaine face à la différence. L’ouvrage connait un succès phénoménal. Le jugement contre Calas est cassé et la famille indemnisée. À partir de cette date, Voltaire achèvera toutes ces lettres par ce mot d’ordre : « Écrasez l’infâme ».

L’infâme, c’est aussi ce contre quoi Émile Zola s’engage en 1897. L’écrivain au sommet de sa gloire suit l’étrange procès d’un capitaine accusé de haute trahison en faveur de l’Empire allemand. Tout indique l’erreur judiciaire, mais Alfred Dreyfus est juif dans une France minée par l’antisémitisme. Les violences contre lui, notamment dans les journaux, ainsi que le choc de l’acquittement du véritable coupable par le Conseil de guerre, poussent l’auteur de La Bête humaine à réagir. Publié à la Une du quotidien l’Aurore le 13 janvier 1898, son texte J’accuse est un brûlot qui cherche à alerter l’opinion publique alors que la cause du capitaine Dreyfus semble définitivement perdue.

1898

Et ça marche. Le pamphlet incite le ministre de la Guerre à assigner Zola en justice. Sa stratégie ? Profiter du tribunal pour révéler la réalité d’une affaire que les Français ne connaissent qu’à travers les articles d’une presse partisane. L’écrivain est condamné à un an de prison et à 3000 francs d’amende, mais depuis Londres où il s’est exilé, il assiste au spectacle d’une France qui se déchire entre dreyfusards et antidreyfusards. L’affaire prend une dimension politique et sociale, son écho est désormais mondial. Le pouvoir résiste, mais plie finalement. Alfred Dreyfus est gracié en 1899.

Il ne sera réhabilité que sept ans plus tard, en 1906. Cette victoire, Émile Zola ne la verra pas. L’écrivain est décédé quatre ans auparavant, asphyxié par la conduite défectueuse de sa cheminée. « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera », écrivait Zola dans Le Figaro. Plus qu’une prophétie, une devise.

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