Rubik, la contre-attaque suisse

C’est un bras de fer qui dure depuis plusieurs années entre l’Union européenne et la Suisse. Berne refuse de rendre les armes et de renoncer totalement à son secret bancaire.

En face, les Européens sont très majoritairement en faveur de l’échange automatique d’informations, c’est-à-dire de la transmission systématique des données des détenteurs de comptes bancaires à l’administration fiscale de leur pays d’origine. Dans cette guerre qui dure déjà depuis la fin des années 90, la Suisse vient de remporter une bataille, via la mise au point des accords Rubik. Retour sur un conflit feutré mais dont les enjeux se chiffrent en milliards de francs.

Quelle est la position de l’Union européenne ?

Les Européens appliquent sur leur territoire la directive Fiscalité de l’épargne, une loi européenne entrée en vigueur en 2005. Elle prévoit l’échange automatique d’informations entre tous les pays de l’UE, à l’exception du Luxembourg et de l’Autriche. Ces deux Etats ont voulu conserver leur secret bancaire. Comme la Suisse, qui a accepté d’appliquer cette directive, ils remplacent l’échange d’informations par un impôt à la source libératoire et anonyme. Un prélèvement qui se monte à 35% des intérêts de l’épargne. Récemment, la pression étant encore montée sur le secret bancaire au niveau international via les injonctions du G20, la Commission européenne a souhaité réviser ce texte pour qu’il s’applique à davantage de produits d’épargne et pour contraindre le Luxembourg et l’Autriche à céder sur le secret bancaire. Cependant, les discussions s’éternisent entre les pays de l’Union européenne, qui doivent se mettre d’accord à l’unanimité sur ce sujet. Les Luxembourgeois et les Autrichiens refusent de lâcher du lest tant que la Suisse n’aura pas elle aussi renoncé au secret bancaire.

Les banques suisses deviennent certes moins attractives financièrement pour les clients étrangers, mais en même temps l’anonymat de ces clients est préservé.

La contre-attaque suisse

Confrontés à cette offensive, les banquiers suisses ont pris les devants. Ils ont convaincu le Conseil fédéral de la nécessité de défendre le secret bancaire en proposant un contre-projet. Il est plus connu sous le nom de Rubik. Concrètement, les Suisses ont habilement semé la zizanie entre les Etats de l’Union européenne en concluant des accords bilatéraux avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, puis ensuite avec l’Autriche. Ces accords étendent le système d’impôt libératoire à la source à un large éventail de produits d’épargne. Ils soldent aussi le passé, c’est-à-dire l’argent déposé illégalement dans des banques suisses, via un impôt payé une fois pour toutes sur ces avoirs. Au final, cela signifie une rentrée d’argent nette pour le budget des pays concernés, un élément non négligeable alors que l’Europe traverse une grave crise économique. Les banques suisses deviennent certes moins attractives financièrement pour les clients étrangers, mais en même temps l’anonymat de ces clients est préservé.

Où en est-on ?

Les accords Rubik doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2013, mais ils n’ont toujours pas été ratifiés en Grande-Bretagne et en Allemagne. Outre-Rhin, ils se heurtent à une forte opposition des sociaux-démocrates. Le SPD réfute notamment l’un des éléments du texte, à savoir que l’Allemagne n’aura plus le droit d’acheter des informations sur les clients des banques suisses comme elle l’a fait encore très récemment. Néanmoins, d’autres pays, comme la Grèce et l’Italie, ou encore l’Espagne, dont les finances sont en piteux état, sont en train de négocier ou envisagent de négocier des accords similaires. Les accords Rubik pourraient donc faire des petits. La Confédération a pour objectif de les généraliser aux 27. Mais pour le moment, la Commission de Bruxelles n’est pas entrée en matière. Tout d’abord parce qu’elle se veut le fervent défenseur de la transparence et l’adversaire du secret bancaire. Mais surtout parce qu’elle n’a pas de mandat pour négocier au nom de l’Union européenne, elle demeure paralysée par l’opposition inflexible du Luxembourg et de l’Autriche. Une opposition qui laisse pour l’instant à la Suisse le champ libre face à une Europe affaiblie par la pire crise économique de son histoire.