L’évasion fiscale pour combler la dette publique

« Le patriotisme, c’est servir son pays (...) Le patriotisme ce n’est pas fuir la France pour les paradis fiscaux et laisser à ceux qui restent le poids de l’effort. » Ainsi le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault déclarait-il la guerre aux évadés et aux exilés fiscaux.

C’était le 3 juillet, lors de son très officiel discours de politique générale. Nul ne sait si les intentions seront suivies d’effet, mais le message est clair : à l’heure où la dette publique atteint près de 90% de la richesse nationale, le Gouvernement français compte faire de la lutte contre l’évasion fiscale une priorité.

S’ils reconnaissent avoir eu du mal à arrêter un chiffre, les sénateurs membres d’une commission d’enquête sur l’évasion fiscale évaluent le manque à gagner à plus de 50 milliards d’euros par an, soit « au moins le montant du remboursement des intérêts de la dette française chaque année ». Créée en janvier dans le but de « mieux comprendre » le phénomène, la commission s’est rendue en Suisse, à Jersey et en Belgique, et a mené de nombreuses auditions – les ex-tennismen Yannick Noah et Guy Forget, qui ont vécu ou vivent dans la région lémanique, ont notamment été entendus. Dans leur rapport rendu public à fin juillet, les sénateurs avancent une cinquantaine de propositions, parmi lesquelles la création d’un Haut-Commissariat chargé de coordonner la lutte contre l’évasion fiscale et l’obligation pour les multinationales françaises de communiquer un bilan exhaustif de leurs entités à l’étranger. « Surtout, complète le sénateur communiste Eric Bocquet, rapporteur de la commission, la réponse doit être internationale : il faut parvenir à améliorer la directive européenne ’ épargne ’. »

Le patriotisme ce n’est pas fuir la France pour les paradis fiscaux.

Initié en 2005, ce texte vise l’échange automatique d’informations bancaires entre Etats. Problème : il ne s’applique qu’aux intérêts de l’épargne (et non aux dividendes) et ne concerne pas les comptes offshore appartenant à des Européens via des sociétés-écran non européennes. Depuis quatre ans, Bruxelles essaie de le modifier, mais l’Autriche et le Luxembourg, attachés au secret bancaire, bloquent les négociations.

De son côté, la Suisse multiplie les accords bilatéraux. Avec « Rubik », elle s’engage à rembourser aux Etats partenaires les impôts non payés par leurs ressortissants ayant des fonds dans ses banques. En contrepartie, les noms des détenteurs des comptes restent secrets. La Grande-Bretagne et l’Autriche ont déjà signé cet accord. La France s’y refuse pour l’instant. « Nous considérons Rubik comme une attaque de la Suisse contre la directive européenne », explique Eric Bocquet, pour qui l’accord revient à une « amnistie fiscale ». Gabriel Zucman, chercheur à l’Ecole d’économie de Paris et auteur d’une étude sur l’évasion fiscale, ne dit pas autre chose : « Certains banquiers suisses sont terrorisés à l’idée de se voir imposer l’échange automatique d’informations. Pour l’éviter, ils montent les membres de l’Union européenne les uns contre les autres : d’un côté, Bruxelles et la directive ’ épargne ’ ; de l’autre, la Grande-Bretagne et l’Autriche (peut-être bientôt l’Allemagne et l’Italie), séduites par la perspective de rentrées d’argent rapides. Pourtant, l’accord Rubik risque de ne pas être à leur avantage : dans la mesure où elles ignorent le montant exact des fortunes gérées par les banquiers suisses, elles s’en remettent ni plus ni moins à leur bon vouloir. »

Dissoute cet été, la commission sénatoriale entend bien « intégrer la fraude et l’évasion fiscales au débat parlementaire » dès l’automne. « C’est un axe politique majeur sur lequel le Gouvernement va devoir travailler », estiment les sénateurs. Le projet de loi de finances rectificative pour 2012 adopté par le Parlement à fin juillet est un début ; il prévoit cinq mesures limitant les possibilités d’optimisation fiscale à l’étranger pour les entreprises, parmi lesquelles le « renversement de la charge de la preuve » : dorénavant, il appartiendra à chaque société de démontrer que ses filiales installées dans des paradis fiscaux y exercent une activité réelle – en clair qu’elles ne sont pas de simples « boîtes aux lettres » permettant de réduire le bénéfice imposable en France.

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