L’Espagne, un paradis fiscal qui s’ignore

Les apparences sont trompeuses : l’Espagne n’est pas inscrite sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE et Madrid n’a jamais été soupçonnée de quelconque bienveillance avec les évadés fiscaux.

Pourtant, selon Diego Artacho, avocat fiscaliste associé chez Rousaud Costas Duran, un prestigieux cabinet barcelonais, l’Espagne est un paradis fiscal qui s’ignore. En effet, la péninsule Ibérique est une destination rêvée pour les multinationales étrangères. Au milieu des années 90, le Gouvernement Aznar a créé un outil pour attirer les capitaux étrangers : les ETVE, entités détentrices de participations étrangères. Inspirées du modèle hollandais de la BV, les ETVE ne sont imposables que dans le cadre des investisse-ments réalisés sur le territoire espagnol. Concrètement, les profits d’une ETVE réalisés à l’étranger ne sont pas soumis à l’impôt. « Avec ce dispositif, de nombreuses sociétés étrangères ont installé le siège de leur holding en Espagne », explique Diego Artacho qui avant d’être avocat était inspecteur des impôts. Le problème, c’est que la plupart de ces entreprises n’ont aucune activité sur le sol ibérique. Officiellement, une ETVE est tenue de disposer « de moyens matériels et humains pour développer son activité ». Mais, dans les faits, il n’y a pas de contrôles. Ainsi ExxonMobil Spain, la filiale du géant pétrolier américain Exxon, a réalisé près de 10 milliards d’euros de bénéfices entre 2008 et 2009, sans rever-ser le moindre centime à l’Espagne. En réalité, la plus grande entreprise au monde en valeur boursière n’a qu’un seul employé en Espagne, rémunéré 44 000 euros par an. Le bureau de Madrid ne sert que de boîte aux lettres où sont regroupés tous les bénéfices des filiales européennes.

En réalité, la plus grande entreprise au monde en valeur boursière n’a qu’un seul employé en Espagne.

Le pétrolier n’est pas un cas à part : Vodafone, Hewlett-Packard, American Express ou encore General Mills ont fait de l’Espagne leur paradis fiscal. « Certes, cette situation est légale mais ce n’est pas normal que les bénéfices de ces grandes sociétés ne soient pas imposés ! » s’indigne Diego Artacho. Le dispositif a été détourné : « Il s’agissait d’attirer des entreprises étrangères pour créer de l’emploi et de la richesse en Espagne, ça n’a absolument pas été le cas. » Depuis quelques mois, le fisc espagnol dénonce ces abus mais, pour le moment, le Gouvernement Rajoy, qui a pourtant besoin d’argent, ne semble pas prêt à modifier cet outil. Certaines régions au Pays basque et en Navarre, par leur statut d’autonomie, prélèvent directement les impôts et ont donc une certaine marge de manœuvre en termes de fiscalité. Ainsi le Pays basque a mis en place un dispositif légal qui permet aux grandes fortunes et notamment aux sportifs de haut niveau de payer très peu d’impôts. Le cycliste Miguel Indurain et le golfeur José Maria Olazábal, tous les deux originaires du Pays basque, en ont profité, « en toute légalité », précise Diego Artacho. Mais il y a deux ans, le tennisman Rafael Nadal a été accusé d’avoir blanchi 56 millions d’euros. Le Majorquin avait créé une société-écran à San Sebastian pour échapper au fisc. N’ayant aucun lien avec le Pays basque, il a depuis été obligé de régulariser sa situation.

Des voisins enviés

L’Espagne est également voisine de deux paradis fiscaux bien différents : Andorre et Gibraltar. La petite principauté, nichée au cœur des Pyrénées, ne fait plus partie de la liste des paradis fiscaux de l’OCDE depuis 2010. « Sous la pression de Nicolas Sarkozy, Andorre a fait de réels progrès », reconnaît Jean Maerckaert, spécialiste des paradis fiscaux et membre de l’ONG Sherpa. Elle a signé des accords d’échange d’informations avec une vingtaine de pays dont la France et l’Espagne. Elle a également mis en place une TVA à 4% et un impôt sur le revenu à hauteur de 10%. Autre avancée significative pour Diego Artacho : la loi pénalise désormais le délit fiscal. Mais Andorre a encore du chemin à faire selon Jean Maerckaert. L’indice d’opacité financière d’Andorre reste élevé à 73%. A Gibraltar, au sud de la péninsule, aucun progrès n’a été fait. Le microterritoire britannique est le paradis des trusts, des banques offshore et des sociétés de jeux en ligne, souligne Jean Maerckaert. Satellite de Londres et de la City, Gibraltar dispose d’une loi qui permet l’établissement de banques offshore. Quant aux sociétés, elles sont exonérées de l’impôt sur les bénéfices ne provenant pas du commerce local pendant une durée de 25 ans minimum. Conséquence, sur le rocher britannique on compte 30 000 habitants pour 80 000 sociétés. Aujourd’hui, Gibraltar reste l’un des plus grands paradis fiscaux au monde. Mais l’Espagne n’a pas les moyens de lutter contre ce voisin bien encombrant : Madrid ne reconnaît pas Gibraltar et ne peut donc signer aucun accord d’échange d’informations avec un territoire dont elle revendique la souveraineté.

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