La schizophrénie américaine

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » Cet adage populaire pourrait s’appliquer aux Etats-Unis en matière de fraude fiscale. Car si Barack Obama ne cesse de vilipender ses compatriotes résidant à l’étranger – désormais tous présumés coupables d’évasion fiscale – plusieurs Etats américains ont des législations si accommodantes qu’ils pourraient aisé-ment être qualifiés de paradis fiscaux.

La fiscalité américaine a ceci de particulier qu’elle est extraterritoriale ; peu importe où il se trouve, le citoyens US est tenu de déclarer ses revenus au fisc américain, l’IRS. Or, on estime que, sur six millions d’Américains non résidents, seuls 500 000 déclarent leurs revenus. En 2009, le phénomène a d’ailleurs fait la une des journaux : UBS est accusée de complicité de fraude fiscale avec certains de ses clients américains. La banque reconnaît alors gérer en Suisse 19 000 comptes de clients américains non déclarés (17 milliards de dollars).

A la suite de ce scandale, l’administration Obama a élaboré une législation appelée FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), qui demande aux institutions financières étrangères de communiquer à l’IRS des informations sur les revenus et les actifs des citoyens américains. Les banques étrangères sont invitées à signer un accord avec le fisc US, par lequel elles s’engagent à identifier les citoyens américains et à transmettre – avec l’accord de ces derniers – une déclaration fiscale de ces personnes. Si le client refuse, l’établissement a l’obligation de prélever une retenue à la source de 30 % sur ses revenus ou, plus radical, de fermer le compte.

Publié en mars 2010, le FATCA est censé s’appliquer progressivement dès le 1er janvier 2013. Mais sa mise en œuvre s’annonce compliquée, car elle entraîne des réformes structurelles au sein des institutions financières concernées. Surtout, le FATCA entre en conflit avec certaines législations locales ou européennes en matière de protection des données personnelles et de secret bancaire. Pour l’Association suisse des banquiers, « in fine, cette législation pourrait nuire à la place financière américaine, puisque certains établissements décideront de ne plus servir de clients américains et mettront fin à leurs opérations avec les Etats-Unis ». L’ASB dénonce une législation extrêmement coûteuse pour les banques et se montre sceptique quant aux retombées pour l’IRS. L’administration Obama, optimiste, pense pouvoir récupérer 8 milliards de dollars en dix ans.

Car les Etats-Unis sont une destination de choix pour s’évader… fiscalement.

Ce volontarisme américain dans la lutte contre l’évasion fiscale fait toutefois rire jaune à l’étranger. Car les Etats-Unis sont une destination de choix pour s’évader… fiscalement. Plusieurs Etats ont en effet mis en place des législations fiscales très attractives. Le Delaware est l’exemple le plus frappant. En plus de ne pas taxer les profits réalisés en dehors de son territoire, ce minuscule Etat (sept fois plus petit que la Suisse !) rend possible la création de sociétés inactives et de sociétés écrans. Le Delaware est même considéré comme une alternative plus intéressante encore que les paradis fiscaux « classiques ».

Les entreprises américaines qui veulent réduire leur imposition n’ont qu’à s’y enregistrer et y transférer leurs profits. Coca-Cola, Google, JP Morgan Chase, General Motors y ont déposé leur raison sociale. Plus de 900 000 entités légales sont domiciliées dans le Delaware (plus que le nombre d’habitants !), dont plus de la moitié des entreprises cotées en Bourse aux Etats-Unis et 63% des 500 plus grosses fortunes du pays. Et ce qui attire les grands groupes attire aussi des individus peu recommandables. Timothy S. Durham, surnommé le « Madoff du Midwest », ou encore le Russe Viktor Bout, le célèbre trafiquant d’armes, y possédaient des adresses.

Et ce n’est pas le seul Etat américain dans ce cas. L’Oregon, le Nevada, le Wyoming et la Floride sont également des territoires « particulièrement intéressants » pour constituer des sociétés écrans, selon le Financial Crimes Enforcement Network, la division de surveillance et de répression des fraudes du Trésor américain. Dans ces Etats, les secrets bancaires sont bien gardés. L’an dernier, les Etats-Unis occupaient d’ailleurs la 5e place dans le classement international des paradis fiscaux, réalisé par le Réseau mondial pour la justice fiscale (Tax Justice Network).

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